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4. Incidence de la Convention de Lomé

L’impact de la Convention de Lomé sur la région a été considérable. Instrument de développement, elle a exercé son influence sur presque tous les aspects de la vie économique, de la ventilation des budgets nationaux à la détermination des partenaires d’exportation, en passant par la définition du type de produits à fabriquer et à exporter. Le présent document n’abordera ces aspects qu’en des termes très généraux. Dans pratiquement tous les domaines considérés comme paralysés, l’Union européenne a apporté une assistance économique significative à la région. Sans l’intervention de l’Union européenne, il ne fait aucun doute que les problèmes inhérents à l’isolement et aux distances auraient une acuité beaucoup plus grande que ce n’est le cas aujourd’hui. Dans les secteurs des télécommunications, des infrastructures de transport, des transports maritimes et des équipements portuaires et aéroportuaires, la Convention de Lomé a été l’un des éléments clés qui a permis à la région de maintenir un niveau de vie ne fût-ce qu’approchant du faible niveau actuel.

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4.1 Aide

La région ACP Pacifique est l’une des régions où l’aide par habitant est l’une des plus élevés au monde [Voir Brown C. et Scott D.A. Economic Development in Seven Pacific Island Countries .].
Cela provient en grande partie du fait que l’aide par habitant ne vise pas la population (c.-à-d. l’aide/habitant), mais bien des États nations (c.-à-d. l’aide). A cet égard, les programmes indicatifs nationaux (PIN) de Lomé ne sont guère différents. L’objectif manifeste est donc l’aide et non pas l’aide par habitant, avec une grande part d’intérêts politiques dans les attributions. [Voir G. Nicole et R. Grynberg, „Allocations of National Aid under the Lomé Convention".]
L’Union européenne n’a pas fait mystère de son intention d’être le deuxième fournisseur d’aide de la région, avec une enveloppe de 930 millions d’écus distribués du début de la Convention de Lomé I à la fin de 1990.*

    * [Voir Rolf Brenner, „La Communauté européenne et le Pacifique Sud", pp. 54-55:
    La Communauté européenne occupe la deuxième place des donateurs dans la région, derrière l’Australie. Étant donné que 80% de l’aide australienne va à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Communauté européenne devient de facto le principal donateur pour les autres sept États ACP indépendants de la région.]
Non seulement le niveau de l’aide a été relevé, mais en outre les aides octroyées à la région du Pacifique ont été disproportionnées, comme le montre le tableau 1 ci-dessous.

Cependant, les Programmes indicatifs nationaux ne reflètent pas fidèlement le niveau total de l’assistance offerte en vertu de la Convention, parce qu’ils ne comprennent pas le volume considérable des assistances non programmées qui sont disponibles dans le cadre des transferts Sysmin et Stabex, des articles 136-8 et d’autres mécanismes de la Convention. Le niveau d’aide programmée et non programmée était le quadruple de la moyenne ACP (l’aide totale par habitant pour les pays ACP du Pacifique est de 80,3 millions d’écus, contre 22,5 millions d’écus de moyenne par habitant pour les pays ACP).

Ces données brossent toutefois un véritable trompe-l’oeil de la région ACP du Pacifique. Les moyennes des pays ACP ont en effet un statut spécial, avec des avantages dépassant de loin ceux obtenus par les autres signataires de la Convention, mais il n’en reste pas moins que ce ne sont là qu’apparences et qu’il faut prendre en considération que la majeure partie de l’aide injectée dans le Pacifique consiste en des subventions indirectes aux citoyens et aux sociétés de consultance des États donateurs. Dans le rap-

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port le plus récent ayant trait à la région, la Banque mondiale insiste clairement sur le fait que 45% de l’aide apportée à la région intervient sous la forme d’une assistance technique. [Le chiffre de 45% ne comprend pas les sommes considérables utilisées pour les services de conseil dans les autres secteurs que l’OCDE/CAD (comité d’aide au développement) définit comme étant „plus directement productifs", par exemple l’infrastructure, etc. On est en droit de se demander si ne fût-ce que la moitié de l’aide reçue par les États ACP s’est traduite par des retombées directes pour la région. A cet égard, l’aide australienne ne diffère pas de celle de l’Union européenne.]
Les montants de la plupart de ces assistances ont été établis en dehors de tout contexte de compétitivité en raison de l’absence d’appels d’offre, l’accès à ces dernières étant réservé aux citoyens des États donateurs. Selon les termes de Banque mondiale (1995, p. 8):

    L’aide apportée aux pays membres du Pacifique se caractérise essentiellement par la part élevée revenant à l’assistance technique: 45% de toutes les aides ont été octroyées sous forme d’assistance technique. Le rapport entre ce chiffre et les performances de croissance n’apparaît pas clairement. D’une part, on estime que la majorité des financements sous forme d’assistance technique remplacent les dépenses publiques courantes telles que les écoles, les hôpitaux et un certain nombre de ministères, et que cela revient à des revenus aux expatriés plutôt qu’à des investissements visibles au profit du pays bénéficiaire … Par conséquent l’assistance technique fournit les compétences, l’équipement et la formation des professionnels locaux ou aide à combler les pénuries dans des domaines spécifiques, un rôle qui devrait théoriquement améliorer la productivité, si le montant en était établi dans un contexte de compétitivité (mise en évidence ajoutée).

Tableau 1
Valeur par habitant des programmes indicatifs nationaux au titre de Lomé IV/1

Pays

Population

Enveloppe (millions d’écus)

Programmes indicatifs nationaux par habitant

Fidji

700,000

22

31.42

Kiribati

70,000

6

85.71

Papouasie-Nouvelle-Guinée

3,480,000

40

11.49

Iles Salomon

290,000

19

65.52

Samoa occidentales

160,000

9

56.25

Tonga

110,000

6

54.55

Tuvalu

8,000

1.3

162.5

Vanuatu

140,000

6.5

46.43

Coopération régionale


35

7.06

Total PIN PACP + rég.

4,958,000

144.5


Total PIP ACP

473,338,000

4,581.3

9.67

Source: Estimations de l’auteur

Malheureusement, l’aide de l’Union européenne ne fait pas exception à la règle. En effet une grande partie de cette aide revient sous la forme de paiements d’assistance technique versés à des firmes et à des expatriés européens. [Dans le cadre de Lomé III, par exemple, l’enveloppe totale des dépenses au titre de l’assistance technique représentait 429 millions d’écus, soit approximativement 7% des subventions du Fonds européen de développement (FED). Cependant, la définition n’inclut pas l’assistance technique qui est fournie au titre des différentes subventions sectorielles, de telle sorte que ces chiffres ne peuvent pas nous donner une représentation précise des engagements européens dans ce type de dépenses. Consulter „De Lomé III à Lomé IV: le point sur l’aide accordée au titre de la Convention de Lomé à la fin de 1990". Commission des Communautés européennes, Bruxelles, Avril 1992.]

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Tableau 2
Estimation des retombées des accords de préférence commerciale
avec les pays ACP du Pacifique (USD x 1.000)


Retombées en 1991

Retombées 1980-1991

Part des retombées 1980-1991

Part des retombées 1991

Fidji

105,125

712,725

88.5%

87.1%

Kiribati

0

251

0.0%

0.0%

Papouasie-Nouvelle-Guinée

5,148

71,280

9.6%

8.7%

Iles Salomon

7,858

30,133

1.3%

3.7%

Tonga

0

43

0.0%

0.0%

Tuvalu

0

0

0.0%

0.0%

Vanuatu

120

884

0.1%

0.1%

Samoa occidentales

9

1,037

0.1%

0.1%

TOTAL

118,260

818,293



Source: Estimations de l’auteur

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4.2 Préférence commerciale et la perpétuation des économies coloniales

La préférence commerciale accordée aux États ACP du Pacifique a été la pierre angulaire de la stabilité de leur économie, surtout aux Fidji. La stabilité est certes importante, mais elle a également quelque peu ralenti le passage à des produits plus rentables dans certains secteurs clés de l’exportation. Autrement dit, l’économie des Fidji, l’unique bénéficiaire important des préférences commerciales, reste „bloquée" avec en somme la même structure d’exportation que celle de l’ère coloniale. [Le seul développement majeur et significatif a été la croissance rapide de l’industrie d’exportation de la confection fidjienne, qui s’est développée après 1987 et brasse actuellement des exportations (en 1995) de 130 millions USD, ce secteur devenant le deuxième par ordre d’impor tance après celui du sucre.]
L’acceptation fidjienne de la préférence commerciale a été principalement motivée par les énormes bénéfices engrangés dans le cadre du protocole „sucre"; de même, les retombées des produits de cultures arbustives tropicales sont allés à la Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux îles Salomon (voir tableau 2). L’autre pôle important a été la mise au point de l’industrie exportatrice de thon du Pacifique Sud qui s’est dans une grande mesure développée à la faveur des marges très élevées des préférences commerciales existantes pour les exportations ACP vers l’Union européenne. Comme nous le verrons, l’Union européenne a toutefois fait usage de la règle d’origine pour limiter le commerce, entraînant la mise en place d’une industrie qui est non rentable quasi en permanence.

a) Le protocole „sucre": exportation de la Politique agricole commune

Depuis 1975, les Fidji ont eu un quota d’exportation de 163.000 tonnes de sucre vers le marché de l’Union européenne conformément à la Convention de Lomé. [Les exportations réelles ont été significativement plus élevées que le quota Lomé.]
Ce sucre a été vendu au prix d’intervention de l’Union européenne, qui, la plupart des années, représentait le triple du prix du sucre sur le marché mondial. En 1995, ce quota a été majoré de quelque 40.000 tonnes. [Le quota de 40.000 tonnes supplémentaires provient d’en gagements au titre de Lomé IV visant à allouer des quotas supplémentaires pour les productions de sucre des États ACP au moment où des pays européens disposant d’instal lations de raffinerie de la canne à sucre ont adhéré à l’Union européenne. Voir Déclaration commune sur le sucre sur le marché portugais , Article XXXVIII, Lomé IV.]
Il en a résulté que les Fidji ont reçu en

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1991 un transfert net de l’Union européenne de 90 millions USD, soit 4% du PIB. Pour l’exploitant sucrier fidjien moyen, cela se traduit par un bénéfice net d’exploitation de quelque 20 USD par tonne de canne à sucre.

Les prévisions annoncent une baisse des cours du sucre de 12% environ pour l’horizon 2000, consécutive aux accords des Négociations d’Uruguay. [Communiqué de presse, Groupe du Sucre de Londres, 1994. L’effet précis des engagements pris dans le cadre du Cycle d’Uruguay sur les prix de l’Union européenne demeure une décision de politique intérieure de l’Union européenne, parce que le pouvoir discrétionnaire autorisé en vertu de l’accord de Blair House signifie que la diminution précise des prix est incertaine. Le récent Rapport de la Banque mondiale consacré aux Fidji suggère (p. 29) que l’ampli tude précise pourrait être aussi faible que 5-10%.]
Ce qui signifie une diminution définitive du PIB de près d’un pour cent. Les effets d’un retrait du protocole „sucre" sur les prix-producteurs des exploitants de canne à sucre des îles Fidji sont repris dans le Graphique 1 ci-après. Les exploitations sucrières moyennes passeraient d’une situation rentable [L’exploitant de canne à sucre moyen engrangeait un bénéfice d’exploitation de 20 dollars fidjiens par tonne en 1992.] à une situation précaire à faible rendement.

L’un des rares effets directement favorables des Négociations d’Uruguay a été le fait que l’Union européenne a inclus le protocole „sucre" dans la proposition qu’elle a soumise au GATT. Cela signifie qu’il sera de toute façon encore plus difficile pour l’Union européenne de dénoncer le protocole „sucre", puisque les dispositions d’accès minimum du GATT empêcheraient l’Union européenne de limiter l’accès à son territoire en fixant des quotas inférieurs aux niveaux actuels. [Voir Article 4, partie III, Accord agricole , GATT 1994.] Bien sûr, ceci n’empêche pas l’Union européenne de diminuer les prix d’intervention qui sont payés en échange des importations des Fidji ou d’autres pays ACP. [L’inclusion des termes du protocole „sucre" dans la proposition de l’Union européenne n’exclut pas légalement des contestations du GATT qui pourraient être formulées par la suite à l’encontre du protocole „sucre".]

Graphique 1
Prix-producteurs du suecre de canne fidjien avec et sans le prpotocole "sucre"

Source: Société fidjienne du sucre

Le quota du sucre a été créé dans une large mesure pour venir en aide à Tale & Lyle au Royaume-Uni qui avait besoin de sucre de canne pour ses raffineries de Londres et de Liverpool. [Le protocole „sucre" a été négocié lorsque les prix du sucre avaient atteint leur sommet historique de ce siècle et lorsqu’il régnait une insécurité du côté de l’offre.]
Cette dépendance vis-à-vis de la canne à sucre a motivé l’accord initial de la Communauté européenne instituant le protocole „sucre" en

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1975. Le protocole „sucre" coûte à l’Union européenne entre 500 et 700 millions d’écus par an (25% de l’enveloppe totale de la Convention de Lomé [En 1993, on a estimé le coût réel du protocole „sucre" supporté par l’Union européenne à 600 millions d’écus. Voir Banque mondiale op. cit. p. 21. Le financement du protocole „sucre" et des protocoles des autres produits relevant de la Convention de Lomé n’empruntent pas le canal normal du Fonds européen de développement.]).
L’Union européenne est l’un des plus grands exportateurs de sucre du monde et elle importe du sucre des États ACP uniquement dans l’intérêt de Tate & Lyle et d’autres petites raffineries de sucre de canne au sein de l’Union européenne. [Sur la base de calculs purement financiers, l’Union européenne pourrait fermer les raffineries de la Tamise et de Liverpool, verser des compensations et, en l’espace de 10 à 15 ans, toutes les parties, à l’exception des États ACP, s’en sortiraient grandies, les besoins en sucre du Royaume-Uni étant couverts par les importations européennes continentales.]
Cependant, il existe une disposition légale importante qui exige de l’Union européenne de ne pas abroger ses obligations telles que reprises dans le protocole „sucre", même s’il existait des raisons politiques pour agir de la sorte. L’interprétation de cet article est fondamentale parce qu’il a été interprété dans le sens que l’Union européenne ne peut pas abroger les dispositions unilatéralement, mais est tenue d’obtenir le consentement des États ACP producteurs de sucre et de conclure un accord avec ceux-ci. [Article 10, Protocole 8, Lomé IV, 1990. La section concernée indique que: Les dispositions de ce protocole doivent garder force exécutoire après la date visée à l’article 91 (la date d’expira tion de la Convention de Lomé IV ) de la Convention. Après cette date, le protocole peut être dénoncé par la Communauté et par chaque État ACP, moyennant un préavis de deux ans. ( Mise en forme ajoutée ). L’utilisation de la conjonction „et" au lieu de „ou" dans la dernière phrase du paragraphe indique qu’il faut l’accord des deux parties.]
Étant donné que les prix d’intervention représentent le double ou le triple du prix mondial, il est improbable qu’un tel accord intervienne sans compensation significative.

L’Union européenne entend maintenir les prix d’intervention du sucre élevés dans un avenir prévisible, parce que le sucre reste l’un des quelques produits hautement rentables en Europe. Cette approche a une incidence positive sur les Fidji et les autres producteurs de sucre ACP. Le maintien des hauts niveaux de prix se justifie également par le fait que la Politique sucrière commune qui détermine la production et fixe les prix du sucre au sein de l’Union européenne ne grève pas le budget de l’Union puisqu’elle s’autofinance. Les régimes de soutien des prix pour les autres produits relevant de la Politique agricole commune sont supportés à la fois par le consommateur et par l’Union européenne, alors que le coût total de la politique sucrière est supporté par les consommateurs, ce qui explique pourquoi il y a moins de pression politique pour la réformer.

b) Commerce des produits de la culture arbustive: GATT et Lomé

En dépit de marges réduites de préférence commerciale, même avant la fin des Négociations d’Uruguay, les retombées découlant de la Convention de Lomé dans le secteur des produits de la culture arbustive tropicale restent inchangées. Les deux pays qui seront très probablement touchés par toute diminution des préférences commerciales sont à cet égard la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les îles Salomon qui sont de grands exportateurs de produits de la culture arbustive tropicale vers les marchés de l’Union européenne. Les produits les plus importants qui seront touchés par la proposition de l’Union européenne dans le cadre du GATT sont l’huile de palme, le café et le cacao. (Le coprah est déjà entré sur le marché européen et il est exempté de droits de douanes, de telle sorte qu’il n’y a pas de marge de préférence, et la plupart du thé de Papouasie-Nouvelle-Guinée est vendu à l’Australie.) La proposition européenne concernant les produits relatifs au Pacifique est reprise dans le tableau ci-après. Ce qui est significatif, c’est que la marge de préférence existante pour les producteurs non-ACP s’amenuise. [La proposition de l’Union européenne soumise au GATT et concernant les produits des cultures arbustives a une incidence considérable sur les États ACP du Pacifique. La marge de préférence sur le cacao va par exemple être éliminée. Dans le cas du café non torréfié, la diminution est de 40 %, soit légèrement supérieure à ce qui était requis aux termes de l’accord de Blair House. Cependant, la baisse des tarifs douaniers pour les importations agricoles conformément aux termes de l’accord doit être le fait de groupes de produits plutôt que de gammes de tarifs douaniers. Il y a un minimum de 15% de réduction par gamme de tarifs douaniers. Par conséquent, pour un certain nombre de produits où l’Union européenne est confrontée à une concurrence (par exemple les huiles comestibles), la diminution des droits d’importation sera la diminution minimale. Il semblerait que l’Union européenne ait réalisé un certain nombre de ses engagements en matière d’agricul ture dans le cadre du Cycle d’Uruguay en réduisant ses marges préférentielles de tarifs douaniers pour les États ACP de plus de 36 % dans certaines régions. Un certain nombre de ces réductions exerceront directement un impact sur les pays ACP du Pacifique tels que la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon et Vanuatu.]
Dans le

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cas de certains produits qui ont un rapport valeur/poids peu élevé (tels que l’huile de palme) et pour lesquels les producteurs des pays ACP du Pacifique sont déjà désavantagés en raison des coûts de transport élevés, l’élimination ou une diminution importante de la marge de préférence menacerait encore davantage la viabilité même de ces exploitations. [Cole a indiqué que la valeur de la préférence pour l’huile de noix de coco représentait quelque 41 USD par tonne d’huile de noix de coco pour la société Lever Solomon Ltd, l’exportateur principal des îles Salomon. Les coûts du fret vers l’Europe avoisinaient les 58 USD. Par conséquent, l’écart représenterait plus que les coûts inhérents à la fourniture d’huile de coco philippine, dont les taux relèvent de la clause de la Nation la plus favorisée (NPF). La marge de préférence commerciale était équivalente à 9% des prix-producteurs; Voir Cole R. „Transnational Corporation in the Trade of Selected Primary Commodities from the south Pacific".]

La diminution de la marge de préférence a un effet plus ou moins prononcé en fonction du produit considéré. Dans le cas de l’huile de palme, dont les exportations des pays ACP du Pacifique (ainsi d’ailleurs que de tous les pays ACP) sont insignifiantes par rapport à celles de pays non-ACP (tels que la Malaisie et l’Indonésie), la marge réduite de préférence obtenue actuellement par la Papouasie-Nouvelle-Guinée et par les îles Salomon n’est pas suffisante pour influencer le prix du marché du produit. Dans le cas d’autres produits, la marge de préférence devient une partie du prix global négocié et peut être perçue soit par le producteur, soit par le marchand. Les marchands d’huile de palme indiquent que la marge de préférence n’est jamais répercutée sur le consommateur.

Pour ce qui est du cacao, les marchands indiquent qu’ils ne sont pas très sûrs du mode de distribution de la préférence entre les différentes parties intéressées. Dans le cas du cacao, la majorité des exportations de fèves de cacao vers le marché européen provient des États ACP, de telle sorte que le prix du marché mondial aurait plutôt tendance à traduire plus fidèlement le statut tarifaire du produit. Par ailleurs, le Contrat européen du café prévoit que les droits d’importation sont à charge de l’acheteur. [Par contrat du café européen, on entend un contrat standard utilisé pour acheter du café au sein de l’Union européenne.]

Tout ceci nous amène à poser la question de savoir si le degré d’ajustement du prix reflète la marge de préférence. Deux possibilités se présentent à nous. Soit la marge est répercutée sur le producteur (dans de nombreux cas, ce sont les paysans), soit elle devient une partie de la marge commerciale de l’exportateur ou de l’importateur. Dans le premier cas, où les paysans et les producteurs perçoivent la marge réelle, les Négociations d’Uruguay entraîneront une diminution des incitants à la production de cultures arbustives tropicales qui sont touchées par la proposition européenne. Par ailleurs, la plupart des contrats de fournitures de produits prévoient que les frais de transports soient payés par l’exportateur. Ceci ne fait qu’accroître le désavantage concurrentiel auquel sont confrontés les exportateurs de produits des pays ACP du Pacifique.

Si l’importateur s’octroie une grande partie de la marge de préférence, comme c’est certainement le cas avec des produits complexes comme le cacao, il est possible que son action diminue les incitants à la source dans les pays ACP en général et les pays ACP du Pacifique en particulier. (Remarquez cependant que dans le cas de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, certains des principaux exportateurs ignoraient jusqu’à l’existence d’une marge de préférence commerciale pour leur cacao au sein de l’Union européenne.)

Pour le café, tout dépendra donc de celui qui sera en position de force lors des négociations relatives au contrat. Alors qu’une partie considérable du café de l’Union européenne vient des

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Tableau 3
Taux actuels des droits d’importation appliqués par l’Union européenne
à la nation la plus favorisée (NPF) et proposition au GATT

Produits

Avant les
Négociations d’Uruguay
Taux NPF

Proposition au GATT

Fèves de cacao

3%

0%

Coques de cacao

3%

0%

Cacao en pains (pâte de cacao)

15%

9.6%

Beurre de cacao

12%

7.7%

Cacao en poudre

16%

8%

Café
– non torréfié
– torréfié


5%
13%


3%
8.3%

Café
– non décaféiné
– décaféiné


15%
18%


7.5%
9%

Café instantané
– concentrés
– préparations à base d’extraits
– autre


18%
18%
13%


9%
11.5%
9%

Thé vert
– > 3 kg
– < 3 kg


0%
5%


0%
3.2%

Thé noir
– > 3 kg
– < 3 kg


0%
5%


0%

Essences de thé

12%

6%

Préparations à base de thé
– d’essences
– thé maté


12%
13%


6%
6.5%

Coprah

0%

0%

Huile de noix de coco (brute – raffinée)

5%

2.5%

Huile de noix de coco – autre
– < 1 kg
– > 1 kg


20%
10%


12.8%
6.4%

Huile de palme (brute – raffinée)

5%

3.2%

Huile de palme (autre)
– < 1 kg
– > 1 kg


20%
10%


12.8%
6.4%

P>Source: Union européenne

pays ACP, le prix traduirait la marge de préférence. Cependant, le prix du café européen n’est pas déterminé uniquement par les fournisseurs ACP, puisque, pour assister la lutte anti-drogue des pays latino-américains (ex.: la Colombie), l’Union européenne accorde également à ces pays un accès en franchise de droits au marché européen pour le café. Le produit et les condi-

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tions du marché déterminent l’opérateur qui perçoit la marge de préférence. Cependant, la perte de cette marge ou sa diminution n’entraîne qu’une diminution supplémentaire des incitants à produire du café ou d’autres produits de culture arbustive tropicale ou à s’approvisionner dans les pays ACP du Pacifique, éloignés et relativement chers.

Dans trois pays mélanésiens où les exportations de produits de cultures arbustives tropicales sont considérables, la dépendance (exprimée en pourcentage des exportations totales) vis-à-vis de ces produits diminue sur la période 1980-1992. Elle passe de 35 % à 14 % pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée, de 33 % à 24 % pour les îles Salomon et de 78% à 44% pour Vanuatu. (La plupart de ces exportations sont destinées à l’Union européenne, à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande.)

La diminution des marges de préférence commerciale pour les produits de cultures arbustives tropicales a également des conséquences sur les revenus découlant du programme européen de stabilisation des produits, le Stabex. Les transferts aux pays participant au programme sont fonction du volume des exportations des produits considérés. Par conséquent, plus la marge de préférence est faible pour l’exportation vers le marché de l’Union européenne, plus importante sera la motivation des exportateurs pour trouver des marchés dans la région du Pacifique, plutôt qu’au sein de l’Union européenne. La diminution de la marge de préférence entraînera un effet secondaire sur les revenus Stabex.

c) Produits du thon

Le secteur des conserves de thon est vraisemblablement le secteur où le système européen de préférence commerciale a eu le plus grand impact sur les États ACP du Pacifique. L’existence même de cette industrie au sein des États ACP du Pacifique est principalement liée à l’existence de marges de préférence commerciale. La Convention de Lomé a peut-être été la sage-femme de l’industrie de conserves de thon des pays ACP du Pacifique, mais il n’en reste pas moins que la règle d’origine a engendré un enfant sévèrement handicapé dont les parents semblent vouloir se débarrasser.

Les règles d’origine européennes spécifient entre autres que le navire qui a capturé le poisson doit être à 51% la propriété des pays ACP ou de l’Union européenne. [Voir Article 2 (g) du protocole de la Convention. La définition de „leurs navires" et de „la mer" dans cet article reste une question de premier plan pour les pays exportateurs de produits de la mer. La Communauté européenne définit longuement „sa flotte" et c’est dans cette définition que l’on trouve l’exemple le plus parlant de l’utilisation des règles d’origine comme instruments de protectionnisme commercial.]
Cet instrument ne procède absolument pas de l’esprit des règlements harmonisés des Négociations d’Uruguay et explique très clairement pourquoi, aux cours des Négociations d’Uruguay, les Européens étaient si farouchement opposés à l’extension des dispositions des règles d’origine à des traités préférentiels. [J. Croome, Reshaping the World Trading System: A History of the Uruguay Round , p. 100.]
Alors que la règle des 51% se justifie pleinement pour des pays développés, son utilisation dans des pays qui ne disposent pas de capitaux peut entraver jusqu’au développement même de l’industrie, ce qui est pourtant l’objet de la disposition. Cependant, en partant du fait que nous pouvons prendre la rationalisation toute européenne de cette disposition pour de l’argent comptant (c’est-à-dire qu’elle existe pour assurer que d’autres parties n’en tirent pas avantage et que les pays ACP du Pacifique en recueillent en fait les dividendes), qu’en est-il lorsqu’on la compare à la situation réelle dans le Pacifique?

Dans les îles Salomon, la règle n’a pas empêché l’une des plus grandes sociétés de transformation alimentaire japonaise, la Taiyo Gaigyo (actuellement Maruha) d’entrer sur le marché et d’utiliser les dispositions. La règle des 51% a été respectée en opérant un transfert réel de propriété à l’État en un certain nombre d’années. Le gouvernement des îles Salomon ne payait pas directement pour ses intérêts dans la Salomon Taiyo. Depuis 1973, Salomon Taiyo n’a seulement fait des bénéfices qu’en huit occasions. Ce n’est pas surprenant. En raison des règles d’origine, le taux d’imposition effectif sur chaque dollar de profit dans les pêcheries salo-

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monaises est de 79%. C’est en 1982 que la société s’est acquittée la dernière fois de l’impôt sur les sociétés. Elle vient récemment de renouveler son accord avec le gouvernement des îles Salomon pour un troisième accord sous forme d’association en participation. [La preuve de la manipulation des prix de transfert pour retirer la marge de préférence commerciale de la Convention de Lomé a fait l’objet d’un commentaire détaillé dans le Rapport de la Banque mondiale.]

Cependant, STL ne fut pas le seul désastre fiscal à découler des règles d’origine. Afin de satisfaire à la demande en poisson de la conserverie Taiyo, le gouvernement salomonais a mis sur pied la Compagnie de développement des pêcheries nationales (NFD) au cours des années 1980 aux fins spécifiques de contourner les dispositions de la règle d’origine en matière de propriété. [Voir A.V. Hughes, „High Speed on an Unmade Road". M. Hughes qui a été gouverneur de la Banque centrale des îles Salomon ainsi que président du conseil d’administra tion de la STL a déclaré que la NFD avait été conçue à l’origine comme une manière d’accélérer la propriété locale de la flotte et de faciliter l’accès de produits en franchise de droits.]
Étatiser la NFD s’est avéré une charge financière massive et la compagnie est désormais totalement passée sous contrôle canadien.

Sur les îles Fidji, la disposition relative aux 51% de propriété a été contournée d’une manière moins dommageable, en séparant la société de pêche de la conserverie. Le gouvernement a mis sur pied sa propre compagnie de pêcherie, IKA, qui gérait une flotte de six à dix thoniers canneurs pour alimenter la conserverie PAFKO, un fournisseur du marché britannique du thon. Le rapport public annuel du département fidjien des pêcheries montre que les bateaux appartenant à l’État capturent en groupe autant qu’un seul ou deux navires exploités par les Japonais. L’une des raisons des performances plutôt médiocres de la conserverie a été selon lui son incapacité d’obtenir suffisamment de poissons. Elle ne peut pas acheter du poisson des Samoa américaines et doit dès lors attraper du poisson dans les eaux territoriales ou l’obtenir de Kiribati et des îles Salomon. Le niveau insuffisant des quantités de poisson traitées, ou plus précisément l’incapacité d’obtenir des quantités suffisantes, est responsable du manque de rentabilité de la société.

En résumé, la règle d’origine n’a pas empêché la prise de contrôle des pêcheries et des conserveries par des groupes étrangers. Elle n’a pas été porteuse de retombées pour les îles, mais a créé une industrie potentiellement viable pour peu qu’elle soit restructurée et remise correctement sur ses rails. L’Union européenne doit s’acquitter d’une obligation morale manifeste en aidant à couvrir les frais de la réparation des dommages infligés à l’industrie par sa marge de préférence. Mais les États ACP du Pacifique ne sont toutefois pas non plus irréprochables à cet égard. Ils ont refusé en de nombreuses occasions de résoudre les problèmes rencontrés par leurs industries. Par exemple, il est largement reconnu, quoiqu’aucun document ne vienne étayer la chose, que la structure des salaires sur les bateaux de pêche fidjiens est telle que les officiers perçoivent un salaire forfaitaire et sont donc peu motivés à attraper du thon. Les Fidji connaissent cette situation depuis de nombreuses années, mais n’ont pas déployé une grande énergie pour remédier à la situation.


© Friedrich Ebert Stiftung | technical support | net edition fes-library | November 2001

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