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5. Restructuration de l’aide de l’Union européenne

La Convention de Lomé, en dépit de ses nombreux défauts (dont certains ont été soulignés dans ce qui précède), a été un instrument qui a fourni des niveaux très élevés d’assistance au développement des peuples du Pacifique. Des routes, des ponts, des aéroports, des transports maritimes, des télécommunications… l’Europe a relevé tous les défis – d’assistance – inhérents aux problèmes d’infrastructure qui minaient véritablement les pays du Pacifique. Sans l’intervention de l’Union européenne, il est certain que les problèmes d’infrastructure entraveraient le développement économique de la région dans une mesure beaucoup plus élevée qu’actuellement.

Les dispositions commerciales de la Convention de Lomé, en dépit de leurs nombreuses distorsions, ont créé un niveau de prospérité modeste chez les citoyens les plus pauvres de notre région. Les personnes employées dans les champs de canne à sucre sur les îles Fidji, dans les cultures arbustives de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des îles Salomon et de Vanuatu et celles employées par les pêcheries jouissent sans aucun doute d’un niveau de vie supérieur à ce qu’il aurait été autrement. La perte de la préférence commerciale de Lomé représenterait pour des centaines de milliers d’entre eux un véritable désastre économique – beaucoup plus grave que pour le gouvernement.

L’Union européenne entend abandonner l’accord ACP et l’on peut très bien comprendre ses motivations. Pour ceux qui ont bâti leur carrière sur la création d’accords régionaux nets et propres, les États ACP – un ensemble hétéroclite d’anciennes colonies européennes sélectionnées, qui n’englobent aucune ancienne colonie espagnole ni asiatique – sont un amalgame incohérent. La Convention de Lomé est également la figure emblématique d’une période coloniale que de nombreux Européens préféreraient oublier. L’horizon 2000 semble être le tournant idéal pour mettre une fois pour toutes fin à ces liens post-coloniaux. Les obsessions des années 1970 relatives aux ressources du tiers monde semblent avoir perdu de leur intensité. En tant que partenaires commerciaux, les États ACP ont clairement échoué et leur influence politique et économique s’amenuise au fil du temps.

Bruxelles, l’heure est à d’autres préoccupations, plus urgentes. L’Europe est en effet préoccupée par les conséquences de l’effondrement de l’ex-Union soviétique. Les mouvements de population qui en découlent conjugués à l’immigration en provenance d’Afrique sont perçus comme des phénomènes menaçant la stabilité en Europe. Pour ces raisons et pour toute une série d’autres motifs d’ordre géopolitique, l’Europe continuera à „préférer" l’Afrique tout en reconcentrant ses aides sur l’Europe de l’Est. Au même moment, les Caraïbes ont été „léguées" aux Amériques par le biais de l’Initiative du Bassin des Caraïbes.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais que va-t-il advenir du Pacifique? Dans le nouveau paysage international, les États insulaires du Pacifique sont classés avec le reste du Pacifique. Encore une solution nette et proprette – mais un désastre pour le Pacifique. Nous dépendons en effet des marchés européens pour nos exportations d’une manière presque contre nature. Si l’Union européenne tente d’intégrer les États insulaires du Pacifique dans un accord d’association formelle avec l’espace asiatique, comme cela a été proposé à de nombreuses reprises, les îles du Pacifique doivent se mobiliser et résister de toutes leurs forces politiques. Rien ne serait en effet plus désastreux pour les secteurs de l’exportation et pour les flux d’aides que d’être soudés à nos voisins boréaux qui ne sont autres que nos principaux concurrents sur le marché européen pour les produits à base de thon et les produits de cultures arbustives.

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L’avenir des relations des Etats ACP du Pacifique avec l’UE une idée tardive

Il convient de se demander en dernière analyse ce que l’avenir réserve concernant les relations entre les Etats ACP du Pacifique et l’UE. On ne peut répondre à cette question sans se reporter à une analyse des intérêts qui, il y a plus de cent ans, poussèrent les pays membres de l’UE à venir dans cette région située au bout du monde. En règle générale, les colonisateurs ne cherchaient pas à exploiter économiquement les îles. La présence de la plupart des acteurs européens dans les Etats insulaires fut une conséquence de l’arrivée de l’Allemagne et de l’Espagne; ces colonisateurs, intervenant l’un sur le tard, l’autre diminué, devaient se contenter des restes des grandes puissances, la France et la Grande-Bretagne. Avec l’arrivée des Allemands en Nouvelle-Guinée et aux Samoa, et des Espagnols aux Carolines et aux Marshall, les grandes puissances étaient pratiquement obligées des pénétrer dans la région afin de protéger leurs colonies d’Australie et de Nouvelle-Zélande, plus importantes, contre un éventuel empiétement allemand. L’idée de développer l’économie, l’agriculture de plantation et les mines ne vint bien souvent qu’après coup à l’esprit des maîtres coloniaux qui cherchaient ainsi à minimiser les frais supportés par le budget du gouvernement colonial. Les îles, en termes de ressources, ne valaient certainement pas l’Inde et n’étaient même pas considérées comme une nouvelle Afrique. L’Europe n’en a jamais tiré de grandes ressources; dans le Pacifique, on était donc loin de „l’interdépendance positive" qui servait de fondement aux relations de l’Europe avec l’Afrique ou même avec les Caraïbes. Nos étions et nous demeurons une idée tardive de l’ère postcoloniale.

La convention de Lomé fut conçue tout à la fin de l’époque coloniale, alors que les ressources étaient à nouveau, quoique brièvement, au centre de ce qu’on a appelé par euphémisme le dialogue Nord-Sud. À bien des aspects, la convention fut le point culminant de l’époque postcoloniale. En 1996, l’Europe ne se soucie plus de la sécurité des ressources naturelles. Les mar-chés devenu mondial, les relations entre Etats deviennent superflues; si un pays n’offre pas les ressources nécessaires à la croissance économique européenne, d’autres y pourvoiront. Les partisans de l’économie de marché ont peut-être raison, mais une erreur en la matière pourrait coûter sa prospérité à l’Europe du XXIe siècle.

Bien que l’histoire n’en finisse pas et qu’il vienne presque certainement un jour où l’Europe manquera de ressources, il est nullement évident que la poursuite des accords de Lomé avec les Etats ACP en général et ceux du Pacifique en particulier assure ces ressources dans le futur. En outre, si l’histoire n’en finit pas, les mémoires, elles, sont courtes; les Européens étant disposés à payer, ils pourront se procurer ces ressources dans l’avenir, sans tenir compte des préjudices économiques subis par le Pacifique, au cas où l’an 2000 verrait la fin de las convention.

Si l’interdépendance positive liée aux besoins en ressources naturelles de l’Europe ne sert pas de fondement aux relations avec le Pacifique, l’interdépendance négative liée à l’aide européenne – les craintes de migrations slaves et africaines, le sida, la cocaïne, la mafia russe – ne constitueront pas non plus les bases de nos futures relations, et ce, pour le plus grand bien des Etats du Pacifique. N’étant pas confrontés à ces menaces, nous ne pouvons pas les brandir devant l’Europe; la politique de l’Europe envers le Pacifique ne peut donc pas reposer sur les mêmes bases que sa politique envers les pays de la Méditerranée et de l’Est.

Puisque les îles ne peuvent ni représenter une menace pour l’Europe, ni lui apporter quelque avantage économique direct, si ce n’est lui procurer un bon endroit isolé (entendez: isolé des électeurs européens) où elle peut procéder à des essais nucléaires, aucun fondement évident ne s’offre pour nos relations à long terme. Nous étions une idée tardive pendant l’ère coloniale, de nouveau une idée tardive lors de la rédaction de Lomé et nous le restons purement et simplement.

Selon certains, le seul fondement réel des relations Pacifique – UE serait la pitié, la misère des îles du Pacifique étant la base de la bienveillance

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européenne envers de moins favorisés. Bien que les îles comptent une population nombreuse vivant dans le misère, trois bonnes raisons incitent à penser que cette situation ne peut pas non plus servir de base aux relations d’aide dans le futur. Premièrement, après vingt années d’aide de Lomé, à l’exception des protocoles relatifs aux matières de base, la seule diminution de la pauvreté engendrée par l’aide européenne touche les sociétés d’ingénierie, les consultants et les universitaires européens qui ont su profiter des accords avec les pays ACP; ils seront certainement des ponts et de fournir une assistance technique, mais elle a lamentablement manqué son objectif en tant qu’instrument de lutte directe contre la pauvreté. Deuxièmement, comparés à l’Afrique subsaharienne, nous sommes à nouveau les perdants profondément reconnaissants du moindre geste de sympathie humaine émanant de Bruxelles à l’égard des pauvres et des indigents. Troisièmement, la bienveillance et le souci des pauvres sont des matières de base de plus en plus rares en Europe et en Amérique du Nord. Les pays européens se préoccupent nettement moins maintenant qu’en 1975 de la condition de leurs propres pauvres dont le nombre, d’ailleurs, croît beaucoup plus vite que l’économie de ces pays. Une conclusion s’impose: une politique de relations étrangères avec les îles du Pacifique reposant sur une préoccupation supposée de l’Europe pour la pauvreté dans des lieux aussi lointains et isolés que les îles du Pacifiques est condamnée à mourir rapidement sur l’autel du nouveau dieu européen, le marché libre.

Les Etats insulaires du Pacifique n’offriront aucun fondement aux relations avec l’UE jusqu’à ce que la roue de l’histoire ait à nouveau tourné et que l’Europe soit se préoccupe de la condition des pauvres du monde, soit ait des raisons sérieuses de s’intéresser à nos rares ressources. Dans l’attente de ce jour, nous demeurons, sincèrement vôtres, une idée tardive.


© Friedrich Ebert Stiftung | technical support | net edition fes-library | November 2001

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