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2. Historique des relations politiques entre le Pacifique et l’Europe

J.W. Davidson a conclu en 1971 que la décolonisation des îles du Pacifique était radicalement différente de celle opérée en Afrique en ce qu’elle a été „étrangement pacifique et ordonnée" [J.W. Davidson, The decolonization of Oceania , p. 4.]. Vingt-cinq ans plus tard, son verdict est toujours largement d’actualité, notamment pour le „Pacifique britannique" et le „Lac américain". À l’exception notable des colonies françaises, où la décolonisation n’est toujours pas intervenue, le transfert en tout ou en partie de la souveraineté aux peuples indigènes s’est accompli avec peu de violence et, dans de nombreux cas, à contrecoeur. C’est que certains dirigeants insulaires considéraient que cette évolution était prématurée et qu’elle servait plus les besoins des puissances métropolitaines que ceux des colonies.

La décolonisation extensive du Pacifique, qui a commencé avec l’accession à l’indépendance des Samoa occidentales en 1962, représentait le démantèlement des empires coloniaux qui avaient été acquis de haute lutte au cours du dix-neuvième siècle en trois vagues d’annexions bien précises: de 1840 au début des années 1880, lorsque les incursions coloniales étaient limitées à l’autorité britannique en Nouvelle-Zélande et aux Fidji, et à la prise du pouvoir par la France en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti; de 1884 à plus ou moins 1900, lorsque la division de la Nouvelle-Guinée occidentale entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne déclencha une véritable curée où la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, les États-Unis, l’Espagne (et même le Chili) ont incorporé la plupart des groupes d’îles dans leurs différents empires coloniaux, en recourant tant à l’annexion qu’au protectorat; et finalement, vers le début du siècle, lorsque l’Allemagne et les États-Unis ont divisé les Samoa et que les États-Unis ont officialisé leur autorité de facto sur Hawaii. Le seul chapelet d’îles qui a pu éviter la domination totale a été le Royaume de Tonga, où les tentatives britanniques pour étendre les limites de l’autorité impériale et transformer Tonga en une colonie de fait ont avorté à la faveur des habiles manoeuvres du Roi Tupou II. Et effectivement, Tonga a été le seul groupe d’îles du Pacifique qui a préservé son indépendance.

L’administration européenne a été comparativement un moindre mal, puisqu’elle s’employait uniquement à maintenir la paix dans l’intérêt de récolter les maigres profits d’une région à la population aussi clairsemée et aux ressources naturelles aussi éparses. Les principaux revenus découlent du coprah, de la main-d’oeuvre et des phosphates, quoique l’on se soit essayé à d’autres cultures, y compris le sucre et le coton. Les possibilités de commercialisation sont limitées et les activités missionnaires ont continué à prévaloir. Au-delà, les tentatives visant à „développer" les populations locales ont été négligeables et la perspective d’autonomie a rarement été ne fût-ce que caressée.

L’éclatement de la Première Guerre mondiale marqua le début d’une période de réagencements à grande échelle. Les colonies allemandes du Pacifique sont en effet entrées dans le giron des Alliés au début des combats en 1914 et par la suite, en vertu du Traité de Versailles de 1920, elles ont été placées sous le mandat de la Société des Nations. Le rôle de l’Europe en tant que tel est ensuite passé au second plan. La Nouvelle-Zélande fut investie de l’autorité d’administrer les Samoa occidentales, l’Australie la Nouvelle-Guinée et le Japon recevant la charge des îles Caroline et Marshall. L’acceptation d’un mandat imposa également une série de restrictions et d’obligations qui changèrent radicale-

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ment la nature de la relation „coloniale". L’autorité d’administration devait désormais s’acquitter du „devoir sacré" de faire respecter les „droits sacrés" des sujets: les territoires sous mandat furent administrés jusqu’à ce qu’ils furent capables de gérer leur propre autonomie. Cette notion d’indépendance finale n’a toutefois pas été prise au sérieux. Pas plus tard qu’en 1962, le président d’une mission des Nations Unies demandait à un fonctionnaire australien combien de temps il faudrait avant que la Papouasie-Nouvelle-Guinée accède à l’autonomie. Réponse du fonctionnaire: „Nous y serons toujours en l’an 2000" [Tiré de J.W. Davidson, „From dependency to independence", p. 160.].

Mais les „vents du changement" soufflaient déjà sur le Pacifique. Un élan local vers l’autonomie vit le jour dans les colonies britanniques après la retraite ignominieuse des administrations coloniales devant l’attaque des forces japonaises. Les libérateurs américains laissèrent une impression indélébile sur les populations, avec leur richesse, leur générosité et leur égalitarisme de façade, en somme le jour et la nuit par rapport aux Britanniques, distants et parcimonieux. Mais le véritable stimulus vint d’un mouvement d’anticolonialisme dans les cercles libéraux et aux Nations Unies, dont les rangs ne cessaient de grossir de territoires autrefois colonisés. La Nouvelle-Zélande réagit à un stade précoce et annonça l’indépendance des Samoa occidentales en 1962. La Grande-Bretagne et l’Australie ne voyaient à l’origine aucune urgence, mais cédèrent après 1960, devant les pressions indépendantistes croissantes: la Grande-Bretagne se débarrassa en toute hâte de son imbroglio colonial, c’est-à-dire en fait les Caraïbes et le Pacifique.

Cet empressement à „quitter le navire" conduisit bien souvent à forcer le rythme, au point que même les dirigeants locaux l’estimèrent trop rapide. Ratu Mara déclara ainsi en 1961:

    Nous ne sommes pas stupides [au point de demander l’indépendance]. Qu’est-ce que nous en retirerions? Nous ne pouvons même pas payer notre propre alimentation. Nous devrions tout payer. Il n’y aurait aucun avantage à obtenir l’indépendance. [Tiré de Brij V. Lal, Broken Waves , p. 164.]

En dépit de telles réserves, la décolonisation et le transfert de souveraineté furent menés à bien dans le Pacifique britannique en un laps de temps très court qui fut très pertinemment décrit comme „une période de tutelle raccourcie précédant l’autonomie et l’indépendance" [Barrie Macdonald, „Policy and practice in an atoll territory", pp. 203-04.]. Pour les insulaires, l’apprentissage de l’administration d’un pays fut tronqué, puisqu’un certain nombre d’étapes habituelles du développement constitutionnel furent omises. Les comités de planification constitutionnelle, l’encouragement des partis politiques et la courte phase d’autonomie précédant immédiatement l’indépendance n’ont pas suffi à compenser la hâte excessive avec laquelle furent bouclés les préparatifs de l’indépendance. Dans plusieurs cas, cette situation déboucha sur la création d’entités économiquement non viables qui auraient dû être maintenues indéfiniment en vie à grands renforts de subventions. Cette approche était tout à fait contraire au principe que les Britanniques prétendaient appliquer jusque-là et qui voulait que leurs colonies se suffisent à elles-mêmes sur le plan financier.

Cependant – peu importe finalement la précipitation – les constitutions d’indépendance et autres dispositions finales empruntent de nombreux éléments aux conditions de vie sur le terrain. Citons à titre d’exemple le cas des îles Ellice qui, en dépit du manque d’enthousiasme de la Grande-Bretagne, se sont séparées du GEIC pour former un nouveau pays appelé Tuvalu où l’on a tenté d’inclure dans la constitution des coutumes et des pratiques traditionnelles (comme la conservation du système de vote matai dans les Samoa occidentales); les îles Fidji, quant à elles, ont opté pour un système électoral qui traduit, notamment par l’absence d’une liste électorale commune, les inquiétudes des indigènes fidjiens face à une éventuelle domination politique des Indo-fidjiens; enfin, la création de gouvernements provinciaux semi-autonomes en

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Papouasie-Nouvelle-Guinée reflète l’inadéquation des efforts de création d’un sentiment de „nation" dans ce pays. Toujours est-il qu’en dépit du rythme accéléré et de nombreux compromis, la transition vers l’indépendance a été essentiellement un processus pacifique dans les pays ACP du Pacifique. La seule exception fut le Vanuatu, où un mouvement séparatiste, du nom de Nagriamet, a dû être soumis par les armes.

Si l’ère de la mainmise britannique sur le Pacifique s’achevait paisiblement en 1980, un scénario beaucoup moins pacifique se déroulait en de nombreux points du Pacifique, en particulier dans les territoires sous autorité française. Le maintien de l’autorité française, alors que les voisins avaient accédé à l’indépendance, et les essais nucléaires français ont semé la violence tant en Nouvelle-Calédonie qu’à Tahiti. La présence de minorités indigènes en Nouvelle-Zélande, à Hawaii ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie, sans perspective de séparatisme, a également été à l’origine de tensions. La prédominance d’un colonialisme-providence en Micronésie et la nature stratégique de ces îles ont eu comme conséquence que les Micronésiens perçoivent en permanence l’autorité de fait des États-Unis. Cependant, les États-Unis, à l’instar de l’Union européenne, entendent se retirer de ces États insulaires insignifiants qui furent jadis des éléments essentiels d’un système de défense stratégique devenu obsolète. Les fonds disponibles en vertu de l’Accord américain de libre association avec les îles Marshall et les États fédérés de Micronésie se tariront en même temps que ceux de la Convention de Lomé. Un certain nombre de territoires micronésiens sont en „libre association" avec les États-Unis. Mais tout dépend de ce que l’on entend par libre association. Les territoires librement associés à la Nouvelle-Zélande (les Cook et Niue) peuvent mettre fin à leur association par simple amendement de leur constitution. En revanche, les territoires micronésiens qui sont en libre association avec les États-Unis sont liés à ces derniers à perpétuité, ce qui empêche en fait une décolonisation totale et définitive.

En dépit du processus de décolonisation étonnamment pacifique dans cette région du monde, on ne se soucia guère, lors des premiers élans indépendantistes, de l’avenir économique de ces entités nouvellement indépendantes. Et pourtant, les perspectives ne cessent de s’assombrir.

Depuis leur indépendance, les relations politiques entre les États ACP du Pacifique ont été excellentes et de loin meilleures que celles entretenues entre les États ACP du Pacifique et certaines anciennes puissances coloniales membres de l’Union européenne. En règle générale, les polémiques sont rares. En effet, les États ACP n’ont pas de régimes dictatoriaux qui auraient pu entraîner la suspension de l’aide, comme c’est le cas dans certaines régions d’Afrique. Par ailleurs, le versement réel de l’aide au titre de la Convention de Lomé n’a pas fait l’objet de fraude à grande échelle et n’a pas été entaché de corruption. Conséquence: la Convention de Lomé a été mise en oeuvre avec un minimum de difficultés politiques.

La guérilla sécessionniste durable à Bougainville, le coup d’État de 1987 aux Fidji ou le refus persistant de l’aristocratie tonguienne de concéder le moindre droit démocratique à ses citoyens ont entraîné des réactions des plus modérées de la part de l’Union européenne, contrairement à son attitude vis-à-vis du continent africain. Les violations des droits de l’homme sont un élément de faible amplitude à la lumière de ces événements politiques si on les compare aux violations massives des droits de l’homme en Afrique, qui ont abouti à des suspensions de l’aide de l’Union européenne. Dans la zone pacifique, les manifestations de mécontentement des Européens à l’égard des politiques locales se sont exprimé à l’égard de questions liées à l’environnement *

    * [Voir Solomon Star Vol. 807, mardi 2 avril 1996, p. 3. Selon les termes présumés de M. Philippe Sobestre lors d’une conférence de presse:
    Nous estimons que la façon dont le gouvernement des îles Salomon met en oeuvre sa politique de développement dans ce secteur (exploitation du bois) ne peut se poursuivre et que si elle n’est pas sujette à des modifications, elle aura des conséquences sur l’avenir des îles Salomon, sur les générations futures et l’environnement.
    En 1996 à Vanuatu, l’Union européenne, de concert avec les ambassadeurs de France et de Grande-Bretagne, a exer cé une pression politique permanente sur le gouvernement de Vanuatu pour qu’il mette un terme aux pratiques de déforestation intolérables. Cela s’est révélé relativement positif.]
et de la lenteur relative de la

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mise en oeuvre des projets Lomé par les pays ACP du Pacifique.

D’aucuns considèrent que l’Europe s’inquiète plus des droits des arbres et des tortues que de ceux des hommes. Toutefois, force est de constater que cette conception ne tient pas la route. Pour illustrer notre propos, citons l’exemple suivant: l’Union européenne a récemment financé des Organisations non gouvernementales associées à l’extension des droits constitutionnels sur les îles Fidji, et a agi avec plus de doigté en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Tonga. Dans le contexte du Pacifique, une telle approche est susceptible de donner de meilleurs résultats que n’importe quel financement économique.


© Friedrich Ebert Stiftung | technical support | net edition fes-library | November 2001

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