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[page-number of print-ed.:29] 5. Restructuration de laide de lUnion européenne La Convention de Lomé, en dépit de ses nombreux défauts (dont certains ont été soulignés dans ce qui précède), a été un instrument qui a fourni des niveaux très élevés dassistance au développement des peuples du Pacifique. Des routes, des ponts, des aéroports, des transports maritimes, des télécommunications lEurope a relevé tous les défis dassistance inhérents aux problèmes dinfrastructure qui minaient véritablement les pays du Pacifique. Sans lintervention de lUnion européenne, il est certain que les problèmes dinfrastructure entraveraient le développement économique de la région dans une mesure beaucoup plus élevée quactuellement. Les dispositions commerciales de la Convention de Lomé, en dépit de leurs nombreuses distorsions, ont créé un niveau de prospérité modeste chez les citoyens les plus pauvres de notre région. Les personnes employées dans les champs de canne à sucre sur les îles Fidji, dans les cultures arbustives de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des îles Salomon et de Vanuatu et celles employées par les pêcheries jouissent sans aucun doute dun niveau de vie supérieur à ce quil aurait été autrement. La perte de la préférence commerciale de Lomé représenterait pour des centaines de milliers dentre eux un véritable désastre économique beaucoup plus grave que pour le gouvernement. LUnion européenne entend abandonner laccord ACP et lon peut très bien comprendre ses motivations. Pour ceux qui ont bâti leur carrière sur la création daccords régionaux nets et propres, les États ACP un ensemble hétéroclite danciennes colonies européennes sélectionnées, qui nenglobent aucune ancienne colonie espagnole ni asiatique sont un amalgame incohérent. La Convention de Lomé est également la figure emblématique dune période coloniale que de nombreux Européens préféreraient oublier. Lhorizon 2000 semble être le tournant idéal pour mettre une fois pour toutes fin à ces liens post-coloniaux. Les obsessions des années 1970 relatives aux ressources du tiers monde semblent avoir perdu de leur intensité. En tant que partenaires commerciaux, les États ACP ont clairement échoué et leur influence politique et économique samenuise au fil du temps. Bruxelles, lheure est à dautres préoccupations, plus urgentes. LEurope est en effet préoccupée par les conséquences de leffondrement de lex-Union soviétique. Les mouvements de population qui en découlent conjugués à limmigration en provenance dAfrique sont perçus comme des phénomènes menaçant la stabilité en Europe. Pour ces raisons et pour toute une série dautres motifs dordre géopolitique, lEurope continuera à préférer" lAfrique tout en reconcentrant ses aides sur lEurope de lEst. Au même moment, les Caraïbes ont été léguées" aux Amériques par le biais de lInitiative du Bassin des Caraïbes. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais que va-t-il advenir du Pacifique? Dans le nouveau paysage international, les États insulaires du Pacifique sont classés avec le reste du Pacifique. Encore une solution nette et proprette mais un désastre pour le Pacifique. Nous dépendons en effet des marchés européens pour nos exportations dune manière presque contre nature. Si lUnion européenne tente dintégrer les États insulaires du Pacifique dans un accord dassociation formelle avec lespace asiatique, comme cela a été proposé à de nombreuses reprises, les îles du Pacifique doivent se mobiliser et résister de toutes leurs forces politiques. Rien ne serait en effet plus désastreux pour les secteurs de lexportation et pour les flux daides que dêtre soudés à nos voisins boréaux qui ne sont autres que nos principaux concurrents sur le marché européen pour les produits à base de thon et les produits de cultures arbustives. [page-number of print-ed.:30] Lavenir des relations des Etats ACP du Pacifique avec lUE une idée tardive Il convient de se demander en dernière analyse ce que lavenir réserve concernant les relations entre les Etats ACP du Pacifique et lUE. On ne peut répondre à cette question sans se reporter à une analyse des intérêts qui, il y a plus de cent ans, poussèrent les pays membres de lUE à venir dans cette région située au bout du monde. En règle générale, les colonisateurs ne cherchaient pas à exploiter économiquement les îles. La présence de la plupart des acteurs européens dans les Etats insulaires fut une conséquence de larrivée de lAllemagne et de lEspagne; ces colonisateurs, intervenant lun sur le tard, lautre diminué, devaient se contenter des restes des grandes puissances, la France et la Grande-Bretagne. Avec larrivée des Allemands en Nouvelle-Guinée et aux Samoa, et des Espagnols aux Carolines et aux Marshall, les grandes puissances étaient pratiquement obligées des pénétrer dans la région afin de protéger leurs colonies dAustralie et de Nouvelle-Zélande, plus importantes, contre un éventuel empiétement allemand. Lidée de développer léconomie, lagriculture de plantation et les mines ne vint bien souvent quaprès coup à lesprit des maîtres coloniaux qui cherchaient ainsi à minimiser les frais supportés par le budget du gouvernement colonial. Les îles, en termes de ressources, ne valaient certainement pas lInde et nétaient même pas considérées comme une nouvelle Afrique. LEurope nen a jamais tiré de grandes ressources; dans le Pacifique, on était donc loin de linterdépendance positive" qui servait de fondement aux relations de lEurope avec lAfrique ou même avec les Caraïbes. Nos étions et nous demeurons une idée tardive de lère postcoloniale. La convention de Lomé fut conçue tout à la fin de lépoque coloniale, alors que les ressources étaient à nouveau, quoique brièvement, au centre de ce quon a appelé par euphémisme le dialogue Nord-Sud. À bien des aspects, la convention fut le point culminant de lépoque postcoloniale. En 1996, lEurope ne se soucie plus de la sécurité des ressources naturelles. Les mar-chés devenu mondial, les relations entre Etats deviennent superflues; si un pays noffre pas les ressources nécessaires à la croissance économique européenne, dautres y pourvoiront. Les partisans de léconomie de marché ont peut-être raison, mais une erreur en la matière pourrait coûter sa prospérité à lEurope du XXIe siècle. Bien que lhistoire nen finisse pas et quil vienne presque certainement un jour où lEurope manquera de ressources, il est nullement évident que la poursuite des accords de Lomé avec les Etats ACP en général et ceux du Pacifique en particulier assure ces ressources dans le futur. En outre, si lhistoire nen finit pas, les mémoires, elles, sont courtes; les Européens étant disposés à payer, ils pourront se procurer ces ressources dans lavenir, sans tenir compte des préjudices économiques subis par le Pacifique, au cas où lan 2000 verrait la fin de las convention. Si linterdépendance positive liée aux besoins en ressources naturelles de lEurope ne sert pas de fondement aux relations avec le Pacifique, linterdépendance négative liée à laide européenne les craintes de migrations slaves et africaines, le sida, la cocaïne, la mafia russe ne constitueront pas non plus les bases de nos futures relations, et ce, pour le plus grand bien des Etats du Pacifique. Nétant pas confrontés à ces menaces, nous ne pouvons pas les brandir devant lEurope; la politique de lEurope envers le Pacifique ne peut donc pas reposer sur les mêmes bases que sa politique envers les pays de la Méditerranée et de lEst. Puisque les îles ne peuvent ni représenter une menace pour lEurope, ni lui apporter quelque avantage économique direct, si ce nest lui procurer un bon endroit isolé (entendez: isolé des électeurs européens) où elle peut procéder à des essais nucléaires, aucun fondement évident ne soffre pour nos relations à long terme. Nous étions une idée tardive pendant lère coloniale, de nouveau une idée tardive lors de la rédaction de Lomé et nous le restons purement et simplement. Selon certains, le seul fondement réel des relations Pacifique UE serait la pitié, la misère des îles du Pacifique étant la base de la bienveillance [page-number of print-ed.:31] européenne envers de moins favorisés. Bien que les îles comptent une population nombreuse vivant dans le misère, trois bonnes raisons incitent à penser que cette situation ne peut pas non plus servir de base aux relations daide dans le futur. Premièrement, après vingt années daide de Lomé, à lexception des protocoles relatifs aux matières de base, la seule diminution de la pauvreté engendrée par laide européenne touche les sociétés dingénierie, les consultants et les universitaires européens qui ont su profiter des accords avec les pays ACP; ils seront certainement des ponts et de fournir une assistance technique, mais elle a lamentablement manqué son objectif en tant quinstrument de lutte directe contre la pauvreté. Deuxièmement, comparés à lAfrique subsaharienne, nous sommes à nouveau les perdants profondément reconnaissants du moindre geste de sympathie humaine émanant de Bruxelles à légard des pauvres et des indigents. Troisièmement, la bienveillance et le souci des pauvres sont des matières de base de plus en plus rares en Europe et en Amérique du Nord. Les pays européens se préoccupent nettement moins maintenant quen 1975 de la condition de leurs propres pauvres dont le nombre, dailleurs, croît beaucoup plus vite que léconomie de ces pays. Une conclusion simpose: une politique de relations étrangères avec les îles du Pacifique reposant sur une préoccupation supposée de lEurope pour la pauvreté dans des lieux aussi lointains et isolés que les îles du Pacifiques est condamnée à mourir rapidement sur lautel du nouveau dieu européen, le marché libre. Les Etats insulaires du Pacifique noffriront aucun fondement aux relations avec lUE jusquà ce que la roue de lhistoire ait à nouveau tourné et que lEurope soit se préoccupe de la condition des pauvres du monde, soit ait des raisons sérieuses de sintéresser à nos rares ressources. Dans lattente de ce jour, nous demeurons, sincèrement vôtres, une idée tardive. © Friedrich Ebert Stiftung | technical support | net edition fes-library | November 2001 |