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« LES ACTEURS DE LA DEMOCRATIE »

Démocratie : le mot résonne en chacun de nous, s'imposant avec la force de l'évidence. Cette proximité ne doit pourtant pas faire illusion. Simple seulement en apparence, en réalité complexe, l'idée démocratique se laisse difficilement cerner, se prêtant même à des interprétations contradictoires, voire antinomiques. Que restait-il de la Démocratie dans les démocraties populaires ? Comment réconcilier démocratie représentative et démocratie directe, Sieyès et Rousseau ? Sous un même mot se dessinent ainsi des visions politiques fort différentes. Celle des socialistes se résume à un impératif : concilier liberté et égalité. Pour la droite, l'inégalité - supposée être source de création, de dynamisme et de bien-être - est une dimension positive de la vie en société. Pour nous, notre attachement indéfectible à la liberté - aux libertés - est inconcevable sans la recherche d'une plus grande égalité entre les Hommes. Pour nous, la liberté est une valeur fondatrice, mais l'égalité demeure le moteur du progrès. Pour nous, pas de liberté sans égalité. Mais pas d'égalité sans liberté, non plus. Depuis 1920 et l'acte fondateur que fut le discours de Léon Blum au Congrès de Tours, le monde sait qu'il existe un socialisme démocratique : le nôtre.

Au-delà de ces différences, reste ce qui fait le cœur de la Démocratie : le pouvoir démocratique est inappropriable par nature. Si, au gré des mouvements d'opinion, telle ou telle majorité l'occupe, aucune partie de la Nation ne saurait l'accaparer, aucune personne ne saurait l'incarner : la Démocratie institue le pouvoir comme un « lieu vide », pour reprendre l'analyse du philosophe Claude Lefort. Même si elle n'épuise pas la matière, cette approche me paraît forte et riche, parce qu'elle souligne que la Démocratie est avant tout un mouvement toujours inachevé, une indétermination. La Démocratie est donc une exigence sans cesse renouvelée. La Démocratie ne va pas de soi.

Nous le savons bien, nous, socialistes, qui avons toujours été aux côtés de ceux qui se sont battus pour elle, en 1848 comme en 1981, au cours des Trois Glorieuses de 1830 comme en 1936. Fruit d'un long combat historique entamé en 1789, la Démocratie - qui prend pour nous, depuis deux siècles, le visage de la République - est aujourd'hui notre bien commun, une valeur précieuse et partagée sur laquelle il nous faut néanmoins veiller, tant les forces qui la minent restent vivaces. Si elle doit sans cesse être consolidée dans ses fondements, il lui faut également être régulièrement réexaminée à la lumière des évolutions de la société, adaptée dans ses mécanismes institutionnels, approfondie pour répondre aux nouvelles aspirations des citoyens. Quoi de commun entre la cité grecque où la Démocratie vit le jour il y a deux mille cinq cents ans et nos sociétés industrialisées ? La Démocratie ne se conçoit que vivante.

C'est donc animés de la volonté de reprendre le fil de la réflexion, de clarifier certaines de nos positions doctrinales et d'avancer sur le chemin de la modernisation politique, que nous nous sommes engagés dans ce deuxième grand chantier de notre rénovation. Exercice difficile mais indispensable pour qui veut tirer les enseignements du passé pour mieux préparer l'avenir. Grâce au talent et à l'énergie du président de la Commission d'élaboration, Jack Lang, et à l'engagement de tous les militants, au premier rang desquels les responsables des quatre groupes de travail - Jean-Marc Ayrault et Ségolène Royal (Démocratie politique), Claude Bartolone et Harlem Désir (Démocratie sociale), Catherine Trautmann et Jean-Pierre Bel (Démocratie locale), Martine Aubry et Sylvie Guillaume (Démocratie citoyenne) - cette entreprise, que la convention sur « Les acteurs de la démocratie » est venue couronner, a été conduite de façon à mes yeux exemplaire.

D'abord par la méthode retenue. Délibération collective, transparence des débats, participation active des militants mais également de nos partenaires politiques et du mouvement associatif : autant de priorités que nous avons fait mieux que respecter, que nous avons su placer au cœur de notre démarche.

Quant au contenu de nos travaux, je ne peux, tant il est riche, qu'évoquer ici ses aspects les plus saillants.

Grâce à la promotion du rôle des femmes - engagée à travers la réservation de nombreuses circonscriptions aux prochaines élections législatives, mais qu'il nous faudra poursuivre au-delà de cette première étape -, à la limitation du cumul des mandats électoraux, au raccourcissement de la durée de ceux-ci et en particulier grâce à l'instauration du quinquennat, nous aurons les moyens de mener l'indispensable modernisation de notre vie politique.

Préserver les contre-pouvoirs, et en particulier celui de la Justice, par l'indépendance du Parquet, par l'alignement du statut de ses magistrats sur celui des magistrats du siège ; accorder un véritable statut de l'opposition ; faciliter partout -dans l'entreprise, dans la vie locale, dans la gestion d'un paritarisme rénové - l'expression des citoyens : voilà de quoi revivifier notre Démocratie.

La clarification de notre position sur la question de l'immigration mérite enfin d'être relevée. Nous ne transigerons pas sur nos principes ; nous remplacerons les lois Méhaignerie-Pasqua, inopportunes, injustes et inefficaces, par une autre législation, rigoureuse mais soucieuse de la dignité des personnes ; nous concilierons la maîtrise des flux migratoires, la lutte contre l'immigration clandestine et le respect le plus strict des droits de l'homme.

Profond, dense, Imaginatif, à la fois audacieux et responsable, en harmonie avec toute la démarche de rénovation engagée par le Parti Socialiste, le texte de notre deuxième convention renouvelle notre approche de la chose publique et nous fournit la substance de notre futur programme. Je suis heureux et fier de vous le présenter.

Qu'il soit fécond, je l'espère. Qu'il fasse date, j'en suis convaincu.

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Lionel JOSPIN

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Extrait du discours de Jack Lang à la Convention Nationale du Parti Socialiste sur les Acteurs de la Démocratie samedi 29 juin 1996 -
Cité des Sciences de la Villette


Chers Camarades,

Quelques mots d'abord sur le lieu où nous sommes : le Parc des Sciences et des Arts. Symbole de la politique des années 1981 : réconciliation des cultures - scientifiques, techniques et artistiques - à l'image de l'Encyclopédie de Diderot ; réconciliation des savoirs et d'un public populaire.

Cette politique volontaire de la recherche, de la culture, et de l'éducation aujourd'hui abandonnée, nous devrons la reprendre un jour. Le capital humain est le bien le plus précieux. Il donne sens à notre vie, élan à notre économie, et assise à notre démocratie.

Je voudrais d'abord exprimer un sentiment de gratitude :

- Gratitude à l'égard du Premier Secrétaire qui a bien voulu me confier cette responsabilité.

Aucune mission ne pouvait m'être plus chère. Né, comme beaucoup d'entre vous, à la conscience politique par la révolte contre les abus de droit - c'était la guerre d'Algérie qui, violant les droits de l'homme, prétendait en même temps priver un peuple du droit de vivre libre -, j'ai, lycéen, appartenu, et nous sommes nombreux ici dans ce cas, à cette génération de militants qui, formés à l'école de Mendès et de Mitterrand, s'est dressée contre le régime néo-bonapartiste de 1958, et n'a cessé depuis lors de rêver d'une société dans laquelle la parole et le pouvoir seraient un jour enfin rendus aux citoyens.

- Gratitude à l'égard des militants socialistes qui, en un délai court, ont apporté une contribution ample et riche à l'élaboration collective de notre projet.

Cette démocratie que nous voudrions instaurer pleinement dans le pays, nous l'appliquons d'abord à nous-mêmes.

Juste retour des choses : puisque ce texte que vous connaissez est aussi le vôtre, je ne vous en infligerai pas le résumé.

Je me bornerai à répondre avec vous à deux questions qui sont communément soulevées avec plus ou moins de bienveillance pour notre parti :

1) Peut-on persister à prétendre, contre toute évidence, que le Parti Socialiste aurait renoncé à réfléchir ou aura-t-on la bonne foi de reconnaître qu'il redevient un laboratoire pour demain ?

2) A quoi bon une réflexion sur la démocratie ? Etait-ce si urgent ?

I -Première question : Le PS est-il sur le chemin de la reconquête des idées ?

Gagner les élections législatives n'est pas un objectif inaccessible. Mais une victoire électorale obtenue par le seul rejet des dirigeants en place ne saurait donner à un gouvernement de gauche le souffle réformateur dont il a besoin pour transformer vite et profondément la situation.

La majorité de rejet devra donc se doubler d'une majorité d'adhésion à un programme clair, fort et audacieux.

Après nos travaux sur la mondialisation, l'Europe et la France animés par Pierre Moscovici, voici que s'ouvre notre Convention sur la Démocratie.

Le texte soumis à nos suffrages ne comporte pas moins de 150 propositions concrètes. Si demain elles sont converties en actes, nos règles de vie commune seront profondément transformées.

D'abord — et là est l'essentiel —, nous en finirons avec une conception anachronique et autoritaire du fonctionnement des pouvoirs qui entrave la libre participation des citoyens et de ses représentants et met constamment en danger le respect dû aux droits les plus élémentaires de chacun.

Malgré les réformes opérées après 1981 (décentralisation, libération des radios et télévisions, suppression des tribunaux d'exception, lois Auroux, lois Roudy, nouveaux droits sociaux,...) notre pays est encore en retard par comparaison avec nos voisins européens.

Le temps est venu de tourner le dos à une tradition autoritariste de concentration des pouvoirs et d'engager une révolution pacifique des mentalités et des pratiques et de redonner souffle et élan à notre vie publique.

Notre ambition est double :

- Nous voudrions d'abord que les pouvoirs et surtout les pouvoirs exécutifs (qu'ils soient politiques ou économiques) cessent d'être la propriété de quelques-uns pour devenir l'affaire de tous. En d'autres termes, nous ne demandons pas seulement - ce sera l'objet de notre troisième Convention - une redistribution des ressources économiques, nous demandons corrélativement une redistribution des pouvoirs, un partage plus équilibré entre les différents organes du pouvoir, et entre les gouvernants et les gouvernés. Redistribution des richesses, redistribution des pouvoirs : même combat. L'une ne va pas sans l'autre.

- Notre deuxième ambition est de garantir la sécurité juridique de chacun : son droit au droit, sa liberté, sa protection face à tous les risques d'arbitraire - arbitraire administratif, arbitraire patronal, voire arbitraire juridictionnel.

Bref, selon le mot de Michelet « Nul ne doit être en dehors de la République ».

II - Déjà, chemin faisant, j'ai commencé à répondre à la deuxième question que certains nous posent parfois. La démocratie, pourquoi en débattre aujourd'hui ? Est-ce si vital au moment où la flambée du chômage reprend de plus belle ?

Il est vrai que si l'on auscultait les Français sur leurs attentes, ils ne répondraient pas spontanément «Changeons la démocratie ». Les besoins immédiats du pays ne sont pas de cet ordre. Le pays est en manque d'emplois. Il est en manque de justice sociale. Il est en manque de sécurité. Il est en manque aussi de protection, de convivialité, de respect et même de tendresse. Il n'est pas apparemment en manque de démocratie.

Notre devoir est-il de nous en tenir aux seules demandes exprimées ? N'est-il pas aussi d'interpréter les besoins latents et d'anticiper le futur ?

Loin d'être un luxe, la démocratie nous paraît être au contraire un ressort vital du mouvement de la société.

1) Notre démocratie n 'est pas en bonne santé et les plus démunis en souffrent

Voudrions-nous nous assurer que notre texte sur la démocratie n'est pas un plan sur la comète, mais qu'il répond à une exigence concrète de chaque jour, il nous suffirait d'observer la réalité.

Les charrettes de licenciements se succèdent :

Crédit Lyonnais, Arsenaux, Moulinex. L'hémorragie d'emploi n'épargne aucun secteur. Face à ces saignées qui déchirent le tissu économique et aggravent la misère, devons-nous rester bras croisés comme si la tornade allait s'apaiser d'elle-même ?

Près de 200 milliards d'exonération fiscale en faveur des entreprises en trois ans jetés au feu en vain. Quel gâchis ! Et précisons-le : sans aucun contrôle démocratique réel.

A la navigation à vue d'un gouvernement ballotté par les vents, nous devons opposer une vision ferme et audacieuse.

Outre la politique en faveur de l'emploi que nous mettrons au point à l'automne prochain, nous devons dès maintenant dire non aux licenciements aveugles. D'où notre proposition d'établir un contrôle par l'administration.

D'où aussi notre volonté de préserver les services publics à la française et de nous opposer, avec la dernière énergie, au démantèlement et au dépeçage d'EDF, de la SNCF et de France Télécom face à une frénésie destructrice et dérégulatrice du gouvernement.

2) Le renouveau démocratique est un préalable au renouveau économique et social

Notre texte fait observer que la société est souvent en avance sur ses dirigeants. Elle bouillonne d'initiatives, d'engagements, d'impatiences. L'efflorescence de la vie associative, l'énergie combative du mouvement de décembre 1995 montrent que le changement est là en virtualité, en puissance, pour peu qu'un chemin soit clairement dessiné, une confiance restaurée. Les citoyens sont prêts à se transformer en partenaires actifs et permanents de la vie civique et publique.

La réussite même d'une politique de changement dépendra de notre aptitude à solliciter la contribution critique et Imaginative des Français, à les associer à l'élaboration collective des décisions d'intérêt commun, à organiser la circulation et le brassage des idées.

Aucune réforme en profondeur - la redistribution des richesses, la réforme de la fiscalité, la lutte contre les gaspillages, la rénovation de l'éducation, la protection de l'environnement, les questions de la drogue, de l'immigration et de la santé -, ne peut être aujourd'hui dictée d'en haut et imposée au forceps à une nation qui n'en veut pas.

Une dynamique de la transformation sociale a besoin pour s'accomplir d'un pays mobilisé et engagé, où chacun se sente à la fois bâtisseur et bénéficiaire de la société nouvelle.

Face aux pouvoirs qui le concurrencent et parfois le dominent - le pouvoir des entreprises multinationales, le pouvoir des médias, le pouvoir des marchés financiers -, le pouvoir politique ne dispose que d'une seule voie pour imposer son autorité morale : sa légitimation constante par le peuple souverain. De lui, et de lui seul, il tient autorité et inspiration.

Chacun demain devra se sentir co-auteur d'un destin collectif.

Sans doute faudra-t-il marquer une attention particulière aux plus jeunes qui se sentent aujourd'hui si étrangers à la politique. Une société qui ne réussit pas à établir un dialogue neuf et authentique avec sa jeunesse est une société en mal de futur. Inscrire la vie personnelle ou collective des jeunes d'aujourd'hui dans un mouvement, dans une espérance, dans un projet, facilitera le dépassement de soi, une ouverture à l'autre, et redonnera le goût de l'action, des grandes aventures et, pourquoi ne pas le dire, du rêve ?

Et les sociétés sont comme les hommes : quand on les empêche de rêver, elles meurent.

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Jack LANG


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