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[Page number of print edtion: 1 = title-page] [Page number of print edtion: 2 = imprint] [Page number of print edtion: 3 = title-page] [Page number of print edtion: 4,5 = introduction] [Page number of print edtion: 6] FEMMES, ETHIQUE ET POLITIQUE Aminata Diaw
Le triptyque qui fait lobjet de notre questionnement peut paraître surprenant à première vue mais non dépourvu de légitimité. En effet et parce quelle est une façon de faire informée par une dynamique socio-historique, la politique renvoie à un univers trop souvent peuplé dhommes. Peu nombreux sont les ouvrages dhistoire, de science sociale ou de science politique qui, en parlant de politique, mettent en scène lélément féminin. Il semblerait que la politique soit une pratique masculine, quelle renvoie à un imaginaire masculin. Par ailleurs, et toujours du point de vue de la représentation et de limaginaire , la politique en tant que pratique renvoie très souvent à lartifice, au faux semblant ; elle est le lieu délection du mensonge, de la manipulation et de la tromperie. Elle semble ainsi, non dans son essence même mais dans la pratique, signifier labsence de moralité, lincapacité de générer un comportement moral, une position éthique. Comme le soulignait Aristote dans lEthique à Nicomaque, la politique est la science suprême et architectonique par excellence, celle dont la fin englobe la fin des autres sciences_. Il ne sagit point de confondre Ethique et Politique mais bien de mettre laccent sur les rapports intimes existant entre les deux. Pour autant cette intimité ne doit pas faire perdre de vue la substance paradoxale qui est la sienne et qui fait le «drame de lhistoire, cest-à-dire celui du divorce entre léthique et le politique »_. Nous savons, depuis Max Weber, que cette intimité [Page number of print edtion: 7] paradoxale de la Politique et de lEthique résulte du fait que la politique est le royaume de la violence, le lieu de prédilection de conflits dont lenjeu constitue le pouvoir, lespace où trop souvent nimporte quelle fin peut justifier nimporte quel moyen, au nom de limpératif de lefficacité. Ces deux remarques qui permettent de mettre en exergue lintimité paradoxale de lEthique et de la Politique ne peuvent manquer de susciter quelques interrogations :
Ces questionnements simposent à nous parce que le Politique est essentiellement humain, parce que lhumain est le seul être capable de moralité mais aussi le seul délibérement capable de violence. En un mot, cest le seul être doté de la capacité dhistoricité. Donc cest cette historicité quil conviendra dinterroger pour savoir ce qui fonde cette intimité paradoxale de lEthique et de la Politique, pour voir si elle incombe à la fatalité de notre nature humaine ou alors si elle relève simplement du fiat humain_. Si le deuxième terme de lalternative prévaut et cest celui qui doit prévaloir, alors il nous faudra revenir au triptyque de départ pour voir comment parvenir à une intimité conviviale Ethique-Politique. Pour ce faire, revenons à lhistoricité et essayons de dégager les sites de légitimité de la problématique pour lui donner une pertinence à travers le cas du Sénégal en montrant comment limaginaire politique sénégalais est [Page number of print edtion: 8] fondamentalement un imaginaire masculin. Ceci nous permettra par la suite de voir dans quelle mesure les femmes pourraient se départir du simulacre, du faux semblant, du mensonge afin dêtre porteuses dune dynamique éthique au cur du politique. Enfin, nous pourrons examiner dans le cadre de ce pari féminin, quelles sont les stratégies pour une nouvelle civilité politique. Il est de fait que ces questions nont de sens que si notre lieu de départ, qui est un parti pris, est le suivant : la politique na pas pour fin la conquête du pouvoir mais le Souverain Bien et nous entendons par celui-ci la qualité de lexistence de la communauté des hommes et des femmes, leur épanouissement physique, intellectuel et moral aussi bien sur le plan individuel que collectif. Notre analyse se situera plus dans une perspective analytique que factuelle et de comptabilité. Il sagira de mettre en exergue la dynamique des logiques structurant lespace et laction politiques afin de pouvoir mesurer limpact de lélément sexuel ou sexiste, et voir comment il peut compromettre le mode dêtre du politique et dans quel sens est-ce quil faut infléchir ce dernier pour quil soit à visée éthique. 1. De lactualité et de la légitimité de la problématique Trois repères permettent de circonscrire les sites de légitimation de notre problématique : « Femmes, Ethique et Politique ». Le premier site de légitimation serait sa dimension planétaire. En effet, si nul aujourdhui ne songe à remettre en cause ou à opposer une fin de non-recevoir à lexigence démocratique sous peine de réclusion de lespace de la rationalité et de lhumanité, force est de constater que le « désenchantement du monde » qui était à lorigine de cette exigence démocratique perdure. Lhumanité na pas encore trouvé une réponse adéquate, pertinente, rationnelle, humainement acceptable à la crise quelle vit : crise du sens de lhistoire, crise de lidée de progrès, crise du politique. La déliquescence des mythes fondateurs [Page number of print edtion: 9] de notre modernité (mythe de lautomaticité du progrès historique, mythe du messianisme révolutionnaire, mythe de lEtat protecteur, mythe des Lumières avec la foi sans bornes nourrie envers le complexe technico-scientifique) traduit ce que Alain Bihr décrypte comme étant la crise du sens qui nest pas absence de sens mais foison de sens. Visiblement la crise du sens, du fait même de son universalité, autorise à inscrire le Politique et subséquemment la Politique dans une perspective éthique. Il y a là une injonction faite à lhomme et à la femme de retrouver ou de créer un ordre symbolique qui puisse restituer un sens à leur présence au monde. Le second site de légitimation réside dans la contemporanéité des tentatives de délégitimation des formes autoritaires du pouvoir en Afrique et des procédures de restauration autoritaires. La libération de la parole et de lespace politiques a ramené la démocratie au cur du politique et du discours politique. Même sil ne peut être question de nier le progrès accompli du fait de la restauration de certaines pratiques telles le multipartisme, la presse plurielle, la compétition électorale et lexpression du suffrage universel dans des zones où elles navaient plus cours depuis fort longtemps, il importe cependant de préciser que lexpérience africaine suscite des interrogations cruciales. Le constat fait du retour démocratique au pouvoir de certains hommes politiques quon considérait il y a peu comme des dictateurs ( Bénin, Madagascar), le coup darrêt et le dévoiement du processus de libéralisation politique dans certains pays (Togo) ou encore la discussion sur la nécessité impérieuse de mettre en place une commission nationale indépendante (CENI) comme au Sénégal par exemple, amènent effectivement à sinterroger sur la nature de lentreprise démocratique. Quentendons-nous par démocratie aujourdhui en Afrique? Na-t-on pas trop hâtivement opéré une confusion entre démocratie et démocratisation en ramenant toute la démocratie à sa dimension exclusivement institutionnelle? Il y a, nous semble-t-il, un enjeu à la fois [Page number of print edtion: 10] méthodologique et théorique dont il importe de bien saisir la portée afin de se donner les moyens heuristiques pour appréhender lintel-ligibilité du problème. Quon soit en face de « démocraties de façade » pour reprendre lexpres-sion de Babacar Sine_ ou quon verse dans le radicalisme de Achille Mbembe pour qui « contrairement à lillusion générale, il nexiste aucun régime démocratique en Afrique noire »_, force est de constater que la démocratie souffre dun déficit qui compromet sa qualité et sa viabilité. Lémergence de la violence comme idiome politique principal, voire exclusif dans certaines zones avec lémergence de recompositions territoriales repose de façon cruciale la question des rapports de la démocratie et de la sécurité. Mais ce qui reste encore plus problématique aujourdhui, cest lampleur que prennent les processus danétatisation, marque suprême de la déconnexion du social et qui ne reconnaissent plus à lEtat une « vocation dintégration citoyenne »_. La complexification des logiques dexclusion repérables dans le champ sociétal autorise à se demander si on peut encore parler de lentreprise démocratique sans ce qui constitue le sujet et lobjet de celle-ci à savoir le citoyen? Il y a, aujourdhui en Afrique, un consensus au niveau du discours politique voire intellectuel : lexistence du citoyen est postulée et considérée comme une réalité effective. La conséquence majeure qui en résulte est de réduire la démocratie à un certain formalisme, ce qui empêche de linscrire dans une perspective éthique et donc de linterroger sur le mode dêtre et la façon de faire quelle implique nécessairement. La communauté de destin qui se donne à voir comme exigence philosophique et éthique rivée à lhorizon de lidentité humaine repose fatalement la question de la citoyenneté et donc celle de légalité. Il sagit par là de se demander par exemple si « lautre moitié du ciel », à un niveau individuel, collectif et institutionnel, a pu trouver un point dancrage dans la modernité entrain de se construire, surtout dans sa dimension politique. Les pratiques et procédures politiques en cours nont pas rompu [Page number of print edtion: 11] avec le paradigme colonial qui reste informé par la logique dassujettissement qui est une logique dexclusion. Cette remarque faite à propos de la situation africaine vaut aussi pour le Sénégal et sa démocratie. Les élections rurales, municipales et régionales de novembre 1996 ont mis en exergue, entre autres questions, deux principalement qui posent le problème de légalité et donc nécessairement le souci de léquité. Il sagit ,dune part, de la question des candidatures indépendantes et, dautre part, de la réalité et de la qualité de la place accordée aux femmes sur les listes électorales. Ne sommes-nous pas là au cur même du troisième site de légitimation de notre problématique. Létude prospective Sénégal 2015 avait mis en évidence le rôle déterminant des femmes dans toute entreprise de transformation de la société ; cette étude avait en effet identifié les femmes comme des acteurs de ruptures. Confirmation est faite par Femmes sénégalaises à lhorizon 2015 qui souligne que « la promotion des femmes à lhorizon 2015, la résolution de la crise sénégalaise, passeront aussi par lattribution, aux femmes, de la place qui leur revient de droit au sein du développement global »_. Lacceptation et la prise en charge de la centralité de la femme sont ainsi posées comme incontournables dans le futur désirable du Sénégal. Elles le sont dans la mesure où elles ont effectivement la capacité de subvertir la logique dassujettisse-ment, de subordination et dex-clusion qui informe le paradigme colonial qui continue encore à prévaloir bien après les indépendances. La subversion réside dans le fait que la détermination ne se fait plus à partir de la marge (doù la marginalisation de la femme) mais bien à partir du centre, ce qui fait essentiellement reposer le système sur le principe dégalité et le souci déquité. Cest cela, nous semble-il, qui fait que la catégorie femme peut inscrire la politique dans une perspective éthique en ce quelle se trouve alors rivée à cette fin quest le bien proprement humain, cest-à-dire le Souverain Bien dont parlait Aristote. Cet esprit ramené à ce que nous venons dénoncer nous [Page number of print edtion: 12] permet alors de nous approprier la remarque de Kä Mana : « Dans nos pays africains, la démocratie ne pourra être fertile que si elle est pensée et vécue dans cette perspective éthique. Elle ne pourra porter des fruits que si nous la concevons non comme un nouveau mythe mais comme une méthode éthique de transformation de nos espaces de vie : lespace politique, lespace économique, lespace social et culturel en tant que dynamique morale et spirituelle par laquelle une société se compose une mentalité et un style dêtre »_. Il convient alors, après avoir visité les sites de légitimation de la problématique, de voir concrètement ce que peut vouloir signifier la méthode éthique de transformation de nos espaces de vie et surtout en quoi les femmes peuvent être dépositaires et initiatrices en partie de cette méthode. Mais auparavant, essayons dabord de voir ce qui est à transformer. Parce que ce qui est visé nest pas seulement du domaine de la matérialité et de linstitutionnel mais surtout du domaine de limaginaire, il importe de revisiter cet imaginaire en essayant de saisir la trajectoire historique qui linforme. 2. Un imaginaire politique masculin a - Le poids de lhistoire La période précoloniale voit se dessiner une différence de statut des femmes en fonction de leur état social_. Dans les Etats centralisés du Nord et du Centre (royaume du Fuuta Tooro, du Walo, du Kajoor...) est mis en exergue, de par leurs titres politiques et matrimoniaux, la centralité des opérations de patronage des Guelwar et Garmi plus que des Toroodo dans les jeux dalliance et dopposition. Cet impact réel des femmes dans la sphère du pouvoir est dautant plus significatif quelles ont accès à certaines richesses même si elles ne participent pas directement à la vie économique. Ainsi, lappartenance aux ordres supérieurs place la femme au cur du dispositif de dévolution et dacquisition du pouvoir. En parlant de la linguer et de la awo dans le royaume du Waalo, Boubacar [Page number of print edtion: 13] Barry fait la remarque suivante : »Ayant un entourage nombreux, ces princesses, par les fêtes fastueuses quelles donnaient, les cadeaux quelles faisaient aux nobles à titre de subsides, contribuaient largement à asseoir lautorité du brak, et jouaient ainsi un rôle important dans la succession au trône. La linguer notamment, jouera un grand rôle politique dans lhistoire du Waalo,car elle est avant tout la détentrice des biens de la famille meen dont la bonne gestion devait assurer la victoire dans la course au pouvoir »_. Mamadou Diouf aboutit au même constat en ce qui concerne le Kajoor : « Les femmes jouèrent un rôle considérable dans les campagnes pour lélection de leurs parents utérins...Par leur xawaré, importantes fêtes de prestige et de distribution de cadeaux, aussi fréquents et grandioses que possible, elles participaient concrètement à lélargisse-ment de la clientèle de leur matrilignage. Ces xaware sont le cadre daffirmation dune générosité affichée, dun entourage nombreux et richement doté ; ce sont en quelque sorte ce que lon appelle de nos jours des opérations de promotion »_. Il ressort de ces constats les éléments suivants :
Ces éléments corroborent lidée dune division sexuelle de laction et du champ politiques qui maintient [Page number of print edtion: 14] la femme dans un rôle de médiation et de subordination et parallèlement érige lhomme en bénéficiaire absolu du système et donc en fait lunique acteur, lunique sujet. On peut effectivement trouver confirmation dans le fait que le champ politique apparaît comme le lieu dexercice de la violence surtout depuis que le pouvoir politique a perdu de sa sacralité. Selon Abdoulaye Bara Diop, « la dévolution du pouvoir nétant pas automatique - avec linexis-tence du droit daînesse et la pluralité des clans royaux, surtout matrilinéaires, favorisée par la polygamie -, des luttes incessantes se nouent pour laccession au trône, aussi bien entre des clans quentre des membres dune même famille, luttes qui ont occasionné des fratricides, voire des parricides. Aux yeux du peuple, le droit au trône nétait plus conféré par le caractère sacré du candidat mais par la force dont il disposait et quil utilisera non seulement pour conquérir le pouvoir contre ses rivaux mais pour gouverner ses sujets après son élection »_. La violence comme moyen privilégié de conquête du pouvoir et comme inhérente à lorgani-sation politique structure ainsi lespace public, désigne les acteurs et les médiatrices et façonne de ce fait le mode dêtre du politique et surtout la mémoire politique. Pour autant, ce mode dêtre du politique intègre une « trajectoire ambiguë »_: la fonction de médiatrice et donc délément essentiel dans les opérations de patronage et de clientélisme nest dévolue à la femme que parce quelle appartient aux ordres supérieurs. Il en est autrement de la Badoolo frappée dune double exclusion parce que femme et parce quappartenant aux classes populaires. Confinée dans son rôle de production et de reproduction dans le cadre dune économie de subsistance, elle se fera plutôt lélément moteur des stratégies de survie_. Les sociétés égalitaires du Sud ne réserveront pas à la femme un sort fondamentalement différent de celui de la Badoolo; sans doute, peut-on faire exception de la fonction religieuse qui la rendra plus visible sur le plan politique et public. [Page number of print edtion: 15] La mise en place de la société coloniale et ses procédures de totalisation ont parachevé la marginalisation presque complète de la femme avec une monétarisation et une masculinisation de léconomie qui confinent de plus en plus la femme dans lespace domestique, processus qui ne sera point remis en cause par laccès, tardif du reste, à lécole. Le paradigme colonial circonscrit la femme dans lespace domestique, ce qui en fait une reproductrice et la gardienne du foyer. Ce remodelage de la réalité sociale qui consacre la marginalisation de la femme sera dautant plus facilité par la religion qui inscrit linégalité de lhomme et de la femme dans le registre du sacré. b - Le suffrage universel ou la consolidation de la division sexuelle de laction et du champ politiques Le droit de vote accordé aux citoyens en 1848 ne le sera pour les femmes quen 1946, soit un an après lavoir reconnu à celles de la métropole. Après une lutte très âpre pour légalité des droits où le soutien des hommes politiques a été déterminant du fait du gain quils pouvaient en tirer, les femmes obtiennent la promulgation dun nouveau décret statuant que « les femmes africaines citoyennes françaises sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les citoyennes françaises ». Par le suffrage universel, les femmes redeviennent une force politique dès linstant où elles sont électrices et éligibles. Si elles sont réintroduites dans lespace politique, on ne peut pour autant affirmer que ceci met fin à leur marginalisation. Faut-il rappeler, comme le souligne Aïssatou Sow Dia_, que le droit de vote était plus une question dhonneur quune question vraiment politique pour les femmes et que son octroi fut plus le fait dhommes politiques. Aussi na-t-il pu conduire à leffet escompté, cest-à-dire la mutation des femmes en véritables citoyennes. Ce droit conquis les a plutôt réduit à nêtre quune masse des manuvres, à être simplement instrumentalisées : en effet, elles se battent pour des intérêts et une logique quelles nont pas mise en place. La place quel- [Page number of print edtion: 15] les occupent dans le jeu politique moderne avec des acteurs comme la SFIO et le BDS les confine dans des « opérations de promotion politique à travers les meeting, tannebers, composition de chants pamphlétaires destinés à saper le moral de ladversaire, boubous estampillés de lidole politique (...) »_. On retrouve non seulement cette théâtralisation du pouvoir déjà mentionnée mais il semble, en plus, quil y ait, de la part des femmes, une appropriation de la violence. Ce recyclage dune valeur masculine dans le registre féminin qui fait passer la violence du champ de bataille à la ronde du tanneber ou à la joute verbale, confirme sil en était encore besoin que limaginaire politique sénégalais reste bien un imaginaire masculin. Ainsi, le processus de modernisation va-t-il simplement procéder à une consolidation de la division sexuelle du champ politique, qui voit les hommes acteurs de plein droit de lespace public se réserver lexclusivité de la conception de la chose politique. c -Modernisation, clientélisme politique et technocratie : la Républiques sans citoyennes Les indépendances ne constituent pas réellement une rupture et le projet post-colonial ne sinscrit pas hors du paradigme colonial. En effet, était inscrite dans lagenda nationaliste lindépendance et non la démocratie. Aussi, la logique unitaire qui a informé le discours identitaire_ a continué à prévaloir et le Droit na été pensé quen termes de libération du joug colonial. Dans une telle perspective, la notion dindividu et par conséquent celle de droits individuels nont pu être posées : le peuple seul sest trouvé réifié en sujet de droit et en catégorie politique. Il en a résulté le gommage des particularités et la femme, par conséquent, ne pouvait être prise en compte comme acteur autonome. Le double impératif devant lequel sest trouvé lEtat post-colonial le prouve amplement : dune part il fallait construire la Nation sénégalaise et, dautre part, promouvoir le développement économique et social des populations. Ce double im- [Page number of print edtion: 17] pératif ne pouvait trouver effectivité que dans sa prise en charge par les populations, cest-à-dire dans des changements de mentalités et de comportements les plaçant dans des dispositions de responsabilité. Lanimation sest inscrite comme stratégie de développement dans ce processus de modernisation avec les volets suivants : lAnima-tion rurale, lAnimation urbaine, lAnimation des administrations publiques et lAnimation féminine. Malgré les apparences, cette prise en charge par lEtat de la problématique femme ne pouvait libérer cette dernière de léconomie domestique et donc lui conférer une autonomie dès lors quelle ne procédait pas de façon concomitante à la remise en cause de la position et du rôle des femmes dans la société. Il nest point surprenant alors que les quatre premiers plans de développement ne comportent aucune spécification des objectifs par rapport à la femme. De ce point de vue le constat de létude prospective Femmes sénégalaises à lhorizon 2015 est plus que pertinent : »(...) durant les quinze premières années, les femmes ont été plus consommatrices que productrices de ces politiques nationales. Elles ne se sont pas mobilisées autour de leurs intérêts propres. Elles nen ont même pas tenu le discours, car le discours dominant était celui de leur nécessaire participation au développement. Elles ont été au service de projets et dinvestissements collectifs qui nont pas pris en compte leurs propres préoccupations. ». Cette non visibilité de la femme, sa non-inscription spécifique dans limpératif de développement est par ailleurs confirmée par le complexe modernisateur de lEtat sénégalais avec la réforme foncière (loi sur le domaine national - 1964), la réforme administrative(1972) et enfin le Code de la famille(1972). Ainsi que le souligne Mamadou Diouf « toutes ces mutations avaient pour but, non de faire participer mais de serrer le maillage administratif sur la société pour accroître lefficacité de la politique de développement dont lextension du domaine étatique était lélément moteur ». Est-il besoin de préciser quil sagit dappréhender des tendances [Page number of print edtion: 18] lourdes pouvant offrir une grille dintelligibilité? Certes la décennie des Nations-Unies pour la femme va impulser de nouvelles stratégies de promotion pour la femme mais peut-on pour autant conclure quelle met fin à sa marginalisation? Le processus de modernisation a été le terrain délection du clientélisme politique dès linstant où il y a eu un glissement de la fonction instrumentale de lEtat vers le parti unique ou unifié. Parce que la femme a été au service du développement et non une des finalités du développement, le discours politique na pu, dans une visée programmatique, circonscrire un espace public qui en fasse un élément opératoire et agissant du processus de délibération. Nul doute que les femmes ont été au cur des transactions politiques, aux avant-postes de la confrontation et de laffrontement, mais comme lindique Katy Cissé Wone, elles ont toujours été « au service dentrepreneurs politiques ». Médiatrices dans le dispositif de patronage, elles continuent à participer à la théâtralisation du politique sans en être véritablement les initiatrices. Elles ont su mobiliser les ressources de lespace privé telles la parenté, le voisinage, la solidarité, lamitié pour des enjeux quelles navaient point contribué à élaborer, à concevoir. Il y a là une logique dassujettissement et de subordination qui exclut de fait la femme du processus de délibération, vecteur essentiel de lespace politique et public. Et parce quil ny a pas un discours de femme, en tant que la femme est objet et sujet de son propre discours, la femme ne peut être acteur politique et, du coup, la République se retrouve sans citoyennes. Le fort taux danalphabétisme conjugué à une non autonomie financière, économique a très certainement beaucoup contribué à cet état de fait. Il reste, puisquil sagit dappréhender les éléments structurants de limaginaire sénégalais, que limage que la sénégalaise a delle-même et celle que lui renvoie sa propre société ont été plus que déterminantes. Le sacro-saint lien matrimonial gage de lentrée au paradis et dune progéniture réussie, la fidélité et la soumission absolue à lautorité parentale et marit- [Page number of print edtion: 19] ale, le respect scrupuleux de la norme sociale qui fixe les critères de lidéal féminin constituent autant délé-ments de verrouillage de la sphère publique qui reste la chasse gardée des hommes. Les femmes ne peuvent y être que sous tutelle, cest-à-dire autorisées. Elles ne peuvent dès lors que véhiculer les valeurs masculines. Dans cette perspective, la technocratie, loin de constituer un élément de rupture, a tout au plus accentué la logique dassujettissement en mettant en exergue la qualité et lexpertise. Larrivée des femmes intellectuelles avec leur savoir, leur capacité dargumentation na pas dune certaine façon aidé à la sortie du paradigme colonial, à linvention dun nouvel imaginaire politique, à linculturation dun nouveau mode dêtre du politique et surtout dune nouvelle éthique politique. Lopposition cadres politiques - cadres intellectuelles, sous bien des aspects, a fragilisé la femme et a rendu problématique sa situation à lintérieur du parti. En effet, lémergence de lexpertise politique féminine na pas eu comme conséquence léclosion dun discours politique dont la centralité de la femme a constitué laxe dordonnancement, autrement dit un discours qui, en sa problématique même, intègre lélément femme au lieu de se le greffer après coup. Parce quil est question de situation de pouvoir et pas de Souverain Bien, lalliance objective des cadres intellectuelles et de lélite masculine montre que lexpertise féminine va contribuer davantage à la marginalisation des femmes car elle ne remet pas en cause la division sexuelle du champ politique. Même si ces propos peuvent être nuancés selon le parti politique en question, il nen demeure pas moins que la femme intellectuelle ne peut donner sens à son ambition politique et ne peut voir celle-ci se concrétiser quavec la bénédiction des hommes. Là encore, le succès de la transaction politique reste tributaire dune non remise en cause du statu quo dans le champ politique. [Page number of print edtion: 20] d - Conscience civique et raison alimentaire La pratique politique est certes tributaire de cet imaginaire politique fondamentalement masculin, mais « lon peut difficilement rendre compte du façonnage politique des sociétés post-coloniales en faisant fi de létat de disette chronique dans lequel elles se sont installées »_. Les politiques dajustement structurel nont pas inversé cette tendance et parce que les femmes ont été les véritables victimes de la paupérisation, leurs conduites et leurs pratiques politiques se sont sans doute beaucoup ressenties de la raison alimentaire. Du fait de la structure inégalitaire de la répartition des ressources, la mobilisation politique sest subordonnée limpératif alimentaire. La distribution de certaines denrées de première nécessité, de pièces de tissu, le financement de Yendu ou de sabar constituent des formes de mobilisation politique mais aussi de contrôle social où la femme constitue lélément central mais non actif. En investissant lespace public par le code vestimentaire(boubou avec effigie), par le bruit (musique, chant, sabar), elle participe à la théâtralisation de la politique, à son inscription symbolique dans la réalité du terroir en activant comme toujours les leviers de la solidarité, de la parenté, du voisinage. Mais cette forme de transaction qui relève de linitiative des hommes et qui voit la loyauté politique séchanger contre léloignement provisoire ou ponctuel de la disette, montre que la théâtralisation que nous avons mentionnée tient beaucoup plus du jeu de marionnettes. Que faut-il en déduire? Il sagit de bien comprendre, toujours en restant dans le cadre de lanalogie avec les marionnettes, que la conduite et la pratique politiques des femmes, parce quétant en partie soumises à limpératif alimentaire, ne peuvent en référer à aucune valeur dordre moral. La procédure de détournement de la conscience civique des femmes, en se nourrissant de limaginaire de la pénurie, met en branle les mécanismes de la non-civilité dans les rapports politiques, ce qui ramène lhumain à la sphère du corps. Il sagit effectivement de ripaille, de parure, [Page number of print edtion: 21] de « lhabit en guise de media visuel du champ politique »_ avec une surimposition de lidentité du leader (le tee-shirt ou le boubou avec leffigie du leader). En un mot, il sagit de jouissance ou de réjouissance du corps réalisée aussi à travers le gommage de chaque identité particulière, leffacement de chaque individualité pour une uniformisation productrice dune masse inerte dont la conscience est capturée, une masse de manuvre. Cette dimension festive en tant que signe de refoulement de la rareté et de la pénurie dune part, dautre part en tant quelle inscrit lidiome et le sens du politique dans le corps, savère incapable de toute transcendance comme le disait Raymond Polin_. En se réduisant à une simple gestion du corps et à ce qui sy réduit, la politique ne peut souvrir à léthique. La force dinertie du corps empêche à la politique den référer à lidée dune nature de lhomme « permettant de juger en termes de valeur les entreprises sociales et politiques »_. Le corps ne peut être que le site de lappétit ou encore de limpulsion, ce lieu où nos actions nont pas besoin dêtre fondés, nont pas besoin de justification ou dargumen-tation mais simplement de monstration pour être. Par opposition, la conscience serait le site des valeurs, ce lieu où le moi se dédouble, se fait juge de lêtre grâce à une certaine idée du devoir-être. Dans une telle perspective, laction nest jamais le résultat de la pression de linstant (comme cest le cas avec lappétit), elle traduit dabord une intentionnalité, un mouvement vers. En clair, dès linstant où nous parlons de conscience, nous nous situons dans le champ de la délibération, délibération qui engage notre liberté et notre responsabilité donc naturellement notre conviction et surtout notre autonomie. Le clientélisme politique, la division sexuelle de laction et du champ politiques norientent pas la femme vers le site des valeurs, qui implique le choix, la délibération, la responsabilité et donc nécessairement lautonomie. Il y a corrélativement à la logique dexclusion et de marginalisation une volonté délibérée de ne pas permettre à la femme [Page number of print edtion: 22] laccès à la citoyenneté, en dautres termes une volonté de la réduire à une simple ressource politique, ce qui en fait lobjet de transaction quelle ninitie pas. Procédons autrement en essayant de mettre différemment en lumière cette même question. Les femmes qui vont aux meeting politiques aux sabar ou yendu organisés dans un but politique y vont-elles pour des raisons politiques cest-à-dire des choix idéologiques bien précis, y vont-elles pour des raisons de sociabilité, par curiosité ou simplement pour passer le temps? Il aurait été intéressant de pouvoir faire une enquête à ce sujet pour pouvoir identifier avec beaucoup plus de fiabilité leurs motivations. A défaut, on peut gager sans prendre trop de risques que les raisons politiques et idéologiques occuperaient une proportion peu importante là où des raisons de sociabilité ou le passe-temps se taillent la part du lion. De manière très empirique et à titre dindicateur et non dargument, on peut observer que les meeting politiques organisés par des partis aux options idéologiques très différentes peuvent, quant à lauditoire, présenter quelques similitudes. Cela ne peut être surprenant dès linstant où les motivations sont présidées par des raisons de sociabilité. A ce niveau, le problème politique quon ne peut déconnecter de son soubassement éthique reste comment disqualifier la division de laction et du champ politique, comment soustraire la femme de la logique d'assujettissement et de servilité pour quelle devienne véritablement citoyenne, comment faire pour quon lui reconnaisse une dignité et quelle soit elle-même convaincue de la dignité dont elle est porteuse, de cette dignité qui est la valeur suprême parce que définissant lhumain et qui, de ce fait, est ce vers quoi tendent toutes les actions humaines. La question de limpératif alimentaire semble donc incontournable dès lors quelle affecte la notion de valeur, cest-à-dire ce à laune de quoi se jauge toute action humaine. Aussi ne pouvons-nous que sous- [Page number of print edtion: 23] crire à la remarque de Achille Mbembe qui déconnecte le concept de valeur de toute instance morale et éthique pour souscrire à « une tension critique caractéristique des temps dinstabilité et dexcessive volatilité, en tant que cette tension brouille la relation quune société avait coutume détablir entre les biens, leur disponibilité ou leur rareté dune part, et leur destination dautre part. »_. 3. Les femmes peuvent-elles être porteuses dune dynamique éthique au cur du politique a - la centralité sociale et culturelle de la femme Létude prospective Femmes à lhorizon 2015 avait mise en exergue la centralité qui place la femme au cur du jeu social, à « la source de la production, de la circulation, de léchange et de la consommation sociale des valeurs »_. Ces valeurs quelles aient pour nom le jom (amour-propre, honneur, respect de soi), la kersa (pudeur), le mandu (honnêteté), la téranga (hospitalité), traduisent, dune certaine façon, la morale sociale, une forme de civilité qui semble se prémunir essentiellement du conflit et de la dérégulation sociale. La prévalence de lesprit communautaire, de la solidarité sociale na de sens que si elle est soutenue par un mode dêtre et de faire individuel exclusivement déterminé par le rapport à autrui magnifiquement symbolisé par la téranga. Toute la socialité véhiculée par les cérémonies comme le mariage, le baptême, le deuil qui sont les lieux de la transaction sociale, reste empreinte de cette primauté accordée au groupe, à lesprit communautaire par la qualité de la relation à autrui. Il y a là une dynamique constructive qui place au principe de laction le respect de lautre, la reconnaissance à autrui de la dignité quon saccorde. Il est important de souligner cet aspect dans la mesure où il exclut, de fait, toute instrumentalisation de la personne humaine. Cette centralité sociale et culturelle de la femme corrélative à son rôle dans léducation, dans le système de solidarité sociale permet- [Page number of print edtion: 24] elle de parler dune pratique politique au féminin? La réponse est positive si on suit Awa Kane dans son travail sur les récits de vie de femmes politiques_. La conclusion quelle tire et quelle dit aller à lencontre des idées reçues consiste à affirmer lexistence dune pratique politique au féminin et qui est essentiellement marquée par le souci du social, de lentraide et du partage. Le témoignage de Madame Caroline Diop reste sur ce point assez éloquent : en affirmant quelle ne sest point enrichie et quelle a tout réinvesti dans le réseau dentraide et de solidarité qui était autour delle, elle souscrit à cette primauté accordée à la qualité de la relation à autrui, à lharmonie et à la solidarité sociale. Cet investissement sur le plan social est aussi confirmé par les récits de Ndèye Coumba Diakhaté Mbengue et de Arame Diène Pour autant, laffirmation de lexistence dune pratique politique au féminin ne permet pas encore, de façon évidente, de voir en quoi les femmes seraient porteuses dune dynamique éthique au cur du politique. La faiblesse de cette pratique politique au féminin a résidé essentiellement dans son ancrage dans la logique de soutien mercenaire et du jeu politique clientéliste. Elle na pas été initiatrice dune logique de subversion ou de rupture par rapport à la division sexuelle de laction et du champ politiques ; elle na pas été productrice dun discours où la femme est à la fois objet et sujet. La fonction de procréation de la femme la arrimée presque exclusivement à lunivers domestique, au domaine privé et comme le souligne le Père de Benoist « la responsabilité de la transmission de la vie conférait un si grand pouvoir quil faudrait lui fixer des limites »_. Ainsi les justifications dexclusion du domaine public qui est celui de la parole et du pouvoir ont pu mobiliser la ressource religieuse qui cristallise linfériorité physique, intellectuelle et morale de la femme, son statut dêtre juridiquement mineur. Il en a résulté « lapprentissage des comportements du genre »_ au sein de la famille, avec un pôle positif ou de référence que constitue lélément masculin et un pôle négatif ou [Page number of print edtion: 25] de tutelle, celui de lélément féminin. Paradoxalement, la femme a été le vecteur essentiel de cet apprentissage des comportements de genre, dabord en lintériorisant et ensuite en le pérennisant. La socialisation de la petite fille et du petit garçon se fait sur deux modèles diamétralement opposés : il sagit pour la première de cultiver laccoutu-mance à la douleur, à la frustration, à lobéissance, à lannihi-lation ou au don de soi et pour le second de cultiver lendurance à la compétitivité, la valorisation de soi, la puissance et une aptitude certaine à lautorité. Ainsi, la socialisation ou pour être plus précis la culture, en mettant à nu le rôle de la femme dans lédu-cation à linégalité et ce, dès le cercle familial, conforte les limites dune certaine pratique politique au féminin, dautant plus que celle-ci ne sest pas révélée antinomique du clientélisme politique. La centralité sociale et culturelle de la femme nourrit dès lors sa propre marginalisation, cest-à-dire le fait quune égale dignité répondant au principe de légalité et au souci de léquité ne lui soit pas reconnue. La question politique et singulièrement la question démocratique ont à affronter sans détour les problèmes culturels comme la religion, le statut de la femme dans la société qui ont des implications politiques en ce sens quils sont les lieux délection de lautoritarisme social ou de la tradition. Linobservance de lidentité humaine avec comme corollaire le respect des droits de lhomme et de la femme, en tant que cette identité humaine constitue lhorizon éthique du politique montre suffisamment les difficultés de la gestation de la citoyenneté chez la femme. Les mutations sociologiques induites par la crise économique nont pas réellement bouleversé limaginaire social. Sans doute est-ce ce qui explique laptitude des femmes au compromis social, leur option pour la négociation et les stratégies de contournement plutôt que laffrontement. Dans une étude sur les femmes chefs de famille à Dakar, Codou Bop sinterroge : « le gain de pouvoir économique sest-ill accompagné dune élévation du statut social des fem- [Page number of print edtion: 26] mes? En dautres termes, assiste-t-on à une redistribution en faveur des femmes du pouvoir familial, jusque-là monopolisé par les pères et les maris? »_. La réponse mérite attention en ce quelle met en évidence la non prise de conscience par les femmes « que leffritement des bases matérielles de lautorité masculine et limportance croissante de leur poids économique pourraient leur donner la possibilité de changer les règles du jeu ». Lexemple des femmes leaders de groupements économiques à Grand-Yoff qui attribuent leur succès à la soumission à leurs maris, ou encore celui des femmes mareyeurs à Hann-sur-mer qui jouent la comédie en demandant à leurs maris et devant ses pairs lautorisation ou lexcuse de sortir de bonne heure ou trop tard, sont des indicateurs du comportement ambigu des femmes mais surtout de lautorita-risme des valeurs sociales. Il y a là un recours à la manipulation, au jeu, qui permet de mesurer lécart entre les mutations sociologiques et limaginaire sénégalais. Cet aspect nest pas exclusif de la centralité de la femme et de la dynamique constructive dont elle est porteuse. Le rôle incontestable et incontournable de la femme aujourdhui dans les stratégies de survie, dans léquilibre social et familial nest pas sans rapport avec le fait quelles donnent la vie et sentent par conséquent lobligation morale de la protéger. Aussi, ont-elles plus tendance, non pas à soccuper déquilibres macro-économiques mais à sancrer dans la quotidienneté, cest-à-dire le bien-être familial et social et ce, même en manipulant. Dans quelle mesure alors les femmes pourront-elles se faire les vecteurs dune éthique politique? b - Lapproche féministe est-elle porteuse dune nouvelle éthique politique ? La femme est lavenir de lhomme Il importe de préciser demblée, afin déviter toute équivoque, que la question sous-jacente demeure comment repenser la démocratie à partir de la problématique femme? Dans son document de base [Page number of print edtion: 27] pour le séminaire international « Cultures en crise : quelles alternatives pour les femmes africaines » Yewwu Yewwi affirmait cette position de principe : « Parce que les femmes, de par leur fonction sociale et biologique sont les piliers de la famille, lieu par excellence de léducation, de la transmission des valeurs, et laboratoire des mutations nouvelles sur le plan social et culturel, les femmes donc se doivent de réfléchir sur les crises actuelles et leur impact sur le rôle et le statut des femmes et de proposer des alternatives pour leur libération »_. En fait, ce qui est en crise cest ce que Sémou Pathé Gueye appelle le « paradigme de lexclusion »_ qui adjoint à lespace politique la logique du conflit et du rapport de forces. Ce paradigme de lexclusion a dautant plus atteint ses limites que la crise est globale. Si les femmes ont très rarement été les initiatrices de lexclusion, elles en ont trop souvent été les victimes : pauvreté, analphabétisme, précarité de lemploi, accès difficile au crédit, discrimination sur le plan juridique, etc. Les violences domestiques, conjugales à leur endroit et qui font de plus en plus lobjet dun discours public montrent jusquà quel point les femmes peuvent être exclues de la sphère de lhumanité si ne leur est opposée et imposée que la force brute, idiome pré-politique et irrationnel par excellence. Si la division sexuelle de laction et du champ politiques a tendance à confiner la femme dans lespace domestique, cette dérive montre que même dans la sphère privée sa qualité dhumain peut être problématique, tant la raison en elle est annihilée, la liberté proscrite, la volonté bâillonnée. En la femme est niée ce qui fait la spécificité de lhumain, cest-à-dire la liberté. Et pourtant, « seul, dailleurs, un sujet libre dispose du pouvoir de sobliger, de lier sa liberté à une valeur, à une loi daction »_. Sans doute, sommes-nous là véritablement au cur du problème : le paradigme de lexclusion est proprement incompatible avec une position éthique si cette position éthique présuppose la liberté et lauto-nomie, si elle englobe la capacité de transcendance cest-à-dire celle de subordonner son ac- [Page number of print edtion: 28] tion à une valeur. Quand nous parlons de position éthique nous ne faisons pas référence à la morale sociale en tant que celle-ci est un absolu qui ninclut pas la délibération, la tension, la transcendance propre à léthique. Il sagit plutôt dindiquer que la morale sociale est un construit porté par une dynamique socio-historique quon ne peut inscrire dans la sphère de lessence. La résurgence des conditions de possibilité de léthique pourrait-elle alors résider dans un projet féministe? Oui si nous entendons par féminisme « le combat contre loppression et lexploitation du sexe féminin » mais à la condition expresse que cela soit pour le Souverain Bien. Il sagit en fait dinventer une nouvelle culture politique, portée par de nouvelles valeurs, de nouveaux idéaux avec des acteurs conscients de leur humanité et donc de leur dignité. Les femmes ne sont pas porteuses de cette dynamique par essence, elles le sont historiquement, conjoncturellement. Louverture démocratique intégrale au début de la décennie 80 a sans aucun doute permis léclosion dun discours radical sur les femmes et par les femmes avec les sections féminines des partis de gauche, avec le mouvement féministe Yewwu Yewwi, avec Femmes et Société. Cest un acquis considérable, qui a libéré la parole féminine, mis laccent sur les discriminations de toutes sortes dont les femmes font lobjet, consolidé au niveau des femmes elles-mêmes la prise de conscience de leur propre situation, de leur propre marginalité. Ces avancées significatives ne doivent cependant pas faire perdre de vue certaines limites ou insuffisances que nous caractérisions déjà en ces termes en parlant de limpasse politique quon peut noter au Sénégal depuis 1988 : « A défaut de penser une nouvelle modernité, ils (les intellectuels et les politiques) se sont laissés enfermer dans le schéma de modernisation hérité de la logique coloniale et qui articule de façon organique le savoir et lexpertise intellectuelle, la prise de parole et lintervention dans le champ politique. Pouvoir du politique et pouvoir de la pensée, il semble que les deux ont contribué à mettre en place une démocratie...pour les lettrés ! »_. Le projet féministe doit sinscrire [Page number of print edtion: 29] dans la modernité à inventer, il doit en être le moteur sous peine de consolider et dapprofondir la capture de la démocratie sénégalaise qui est le fait de la déconnexion du politique et du social. Les modes de faire aujourdhui, les comportements politiques qui ont cours et qui sont répréhensibles, linstru-mentalisation des femmes comme masse de manuvre électorale, la transhumance politique, le clientélisme politique de façon générale, ne facilitent pas lémergence de cette modernité mais sont bien les avatars de la modernisation. Le pari consiste à mettre en uvre une démocratie inclusive. Au principe de lalternative à proposer, de la modernité à inventer, il y a nécessairement la réappropriation par les femmes du savoir sur elles-mêmes, et donc sur leur société. Cette réappropriation permettra de remettre en question « le caractère patriarcal des connaissances socio-scientifiques qui, dune part ignorent et marginalisent la contribution des femmes dans la société et, dautre part, aident à inférioriser et subordonner les femmes en générant des données sexistes »_. En se donnant les moyens sur le plan académique et intellectuel de montrer que la femme est un produit historique et culturel et non un fait naturel et en articulant cette dimension au travail du mouvement des femmes, les femmes se trouveront dotées darmes efficaces pour ruiner les éléments de légitimation de leur oppression et sériger en individus autonomes. Un tel projet, en renouvelant les grilles dintelligibilité de la réalité sociale qui ne sont plus légitimées par le paradigme de lexclusion, en offrant un champ dactions et de pratiques transversales, sinscrira nécessairement au cur de la modernité qui « est le résultat dune double formalisation juridico-idéologique dune part, intellectuelle et scientifique de lautre »_. Cest dans cette perspective uniquement que nous parlons de projet féministe comme porteur dune dynamique éthique au cur du politique en tant que ce qui est en jeu cest de reconstituer la géographie de notre imaginaire, de redessiner un territoire, un espace [Page number of print edtion: 30] de liberté où «lautre moitié du ciel » aura sa place. La particularité dun tel projet, dont il ne sagit pas de dire ici le contenu mais simplement dindiquer la nature, réside essentiellement dans sa capacité à subvertir globalement et à innover radicalement : la réalité sociale, nos schèmes de pensée, notre perception de la Cité, la façon de gérer celle-ci. En dautres termes, il sagit, en choisissant la femme comme lieu dimpulsion, de modifier radicalement nos modes dêtre et nos façons de faire, de créer de nouvelles formes de communication, de nouvelles aires de solidarité et de coopération entre hommes et femmes, bref un nouvel humanisme, une nouvelle culture. La dimension novatrice et humaniste de cette culture et qui est aussi ce pourquoi nous mettons en exergue ce projet féministe, consistera essentiellement dans la place focale accordée à la question de lintersubjectivité, au consensus par la discussion et non par la force de la tradition. Cette pratique de la discussion et de largumentation peut être considérée comme éminemment éthique si elle se réduit à ce que Michel Foucault appelait « la pratique réfléchie de la liberté »_. La femme comme territoire de lasservissement et de l'assujettissement devient lavenir de lHumain en sérigeant comme sujet, comme lieu de cette pratique réfléchie de la liberté. En fait, le projet féministe ne peut avoir de sens cest-à-dire être porteur dune dynamique éthique au cur du politique si la politique, les murs qui en découlent ne sont pas fondées en liberté : en clair, il sagit dabord dun projet intellectuel mais dont la finalité est nécessairement pratique, politique. Cest peut-être en cela quon pourra dépasser lexpérience présente qui a du mal à sextraire du paradigme de lexclusion. La représentation des femmes reste faible dans les instances dirigeantes des partis surtout dans les partis de gauche. Au bureau politique, elles représentaient respectivement 10,7 % pour le PS, 8,11 % pour le PDS, 6,6 % pour le PIT, 9 % pour la LD/MPT ( les chiffres sont de 1992). La prise de conscience de plus en plus sensible des femmes de leurs problèmes, de la discrimination dont [Page number of print edtion: 31] elles sont lobjet, le manque dintérêt pour des sujets jugés si peu nobles par les hommes expliquent la nécessité pour les femmes de se regrouper dans leurs partis respectifs pour prendre en charge de façon spécifique leurs intérêts. Ghettoïsation ou discrimination, il reste quavec le paradigme de lexclusion, la question féminine ne peut être prise en charge que de manière particulière, marginale dans un lieu quon peut plus qualifier de féminin que de politique. La capacité novatrice du projet féministe résidera dans son aptitude à accorder au problème de la femme la même dignité quon attribue naturellement au politique et de ne plus en faire une simple bagatelle, une chose dont on parle moins parce quon y croit que pour se donner bonne conscience ou pour se rallier des voix. Il importe tout de même dapporter une précision qui nous paraît fondamentale : les femmes ne seront pas porteuses dune dynamique éthique au cur du politique parce quelles seront plus nombreuses. Cest une condition nécessaire mais qui est loin dêtre suffisante. Il faut que les femmes soient de plus en plus présentes et nombreuses dans les instances de décision, que leur participation à la prise de décision soit le reflet de plus en plus fidèle de la composition sociale afin de contribuer au renforcement de la démocratie. Cest un impératif, du reste incontestable, dautant plus quil est inscrit sur la plate-forme daction de Beijing. Mais ce qui est autrement plus incontestable cest quil ne sagit pas réellement de quantité mais de qualité. Plus de femmes ? Oui, mais pour quoi faire? Pour quel projet de société? Si la question de léthique se pose de façon aussi cruciale et même de façon aussi planétaire, cest assurément parce que la pratique politique aujourdhui ne sidentifie guère à une pratique réfléchie de la liberté, elle ne respecte point le principe dautonomie qui postule lindi-vidu, elle uvre à la déliquescence de la dignité de lhomme et de la femme, elle menace, au sens littéral du terme, la vie. Parce quelle trouve son fondement dans le paradigme de lex- [Page number of print edtion: 32] clusion, cette pratique politique loge toute sa pertinence dans le principe de linégalité : aux hommes les choses nobles dont la politique, aux femmes à les aider dans cette tâche. Cest cela quil convient non pas de corriger simplement mais de changer radicalement. La responsabilité historique de la femme est de subvertir, de changer cet état de fait, dinscrire au cur du politique une pratique qui se donne comme principe la liberté de lhomme et de la femme et comme finalité la dignité de lhomme et de la femme. Seule une telle pratique respecte les droits de la personne humaine, en rendant impossible son instrumentalisation et le détournement de la conscience civique, surtout celle des femmes. Cette perspective dénie au pouvoir la fonction qui lui est aujourdhui assignée : il nest plus question den faire une finalité (ce qui réduit lhomme et la femme à être non pas des citoyens mais des clients et des marchandises politiques) mais simplement un instrument pour se prémunir de la déchéance sociale et morale, pour réaliser laspiration à la liberté, à la justice et au fond à lépanouissement. En posant ainsi la problématique Femmes, Ethique et Politique il ne sagissait pas simplement, comme on aurait pu le croire du reste, daborder un aspect particulier de la problématique politique ; bien au contraire, et on sen rend de plus en plus compte, il sagit de revisiter radicalement et globalement la problématique politique. Nous sommes effectivement au cur de la question politique mais aussi, faut-il le rappeler, au cur de la question démocratique. Comment se départir du clientélisme politique qui procède à une instrumentalisation de la personne humaine, compromet la pratique réfléchie de la liberté et génère nécessairement lexclu-sion ? Le projet féministe, tel que nous lentrevoyons, permet dinscrire la politique non sur le registre de lavoir mais sur celui de lêtre. Sa clause de viabilité résidera alors dans sa capacité à faire participer de façon égale les hommes et les femmes, de prendre en charge de façon égale les préoccupations et les [Page number of print edtion: 33] droits des hommes et des femmes. Cependant, sil y a à parier sur la femme pour la génération dune nouvelle civilité politique, il y a à voir, avec plus de netteté, les stratégies à mettre en uvre. 4. Stratégie pour une nouvelle civilité politique : le pari féminin a - linnovation politique : un impératif éthique Linnovation politique est une obligation parce que lhumain se définit dabord par sa capacité de créer, par sa capacité de se mettre à distance de lordre naturel des choses, ou de ce qui est tenu pour tel : cest pour cette raison essentiellement que lhumain est être de culture et de civilisation. Il convient dans cette perspective, de signifier avec force limpérieuse nécessité de revisiter de manière critique ce quon appelle tradition. Parce quelle est plutôt « capacité permanente dinitiative historique et créative »_ la tradition comme ouverture « ménage pour un être libre la capacité, par rapport à ce qui est et ce quil est, de poser des fins définissant ce qui doit être et ce quil doit être »_. Lappréhension critique de la tradition permet de dire que celle-ci nest pas clôture mais ouverture, ce qui la soustrait à toute sacralisation et à toute ritualisation ; bien au contraire, elle fonde en raison la reprise de linitiative historique. Si linno-vation permet de résister aux formes déshumanisantes de loppression et de lexploitation, elle peut, de ce fait, contribuer substantiellement à articuler de manière cohérente mais surtout efficace les dynamiques internes de la société afin de leur imposer limpératif du droit et les exigences de la démocratie. Il sagit, en un mot, pour la femme de reprendre linitiative historique, « de construire mentalement et pratiquement les réalités dici-bas et de lau-delà et, ce faisant de se constituer en opérateur historique »_. En effet, parce que luniversel sénégalais sest décliné au masculin, le « totalitarisme sexiste » a signifié pour la femme linca-pacité de penser et de consolider un territoire imaginé qui lérige en sujet de droit. Il y a sans doute un travail de réappropriation et de [Page number of print edtion: 34] réinterprétation quil convient de mener, des stratégies dinno-vation à élaborer dès lors que la prétention à ramener limaginaire politique sénégalais à un imaginaire masculin ne peut, en aucun cas, être conforme aux exigences de la démocratie mais surtout à léthique corrélative à celle-ci. Cest à ce titre seulement que les femmes peuvent se faire porteuses dune rupture dans la praxis politique, quelles peuvent impulser lémergence dune nouvelle éthique dans la sphère du politique. b - Transformer une conscience en force : quel rôle pour le COSEF? Les femmes représentent au Sénégal plus de la moitié de la population et près de 70 % de lélectorat, paradoxalement, elles ne constituent guère 5 % délues dans les instances de définition et dexécution des politiques. Ces chiffres, en ce quils ont dahurissant, ont fondé, dans la foulée de Beijing, largumentaire du séminaire-atelier de mai 1996 sur « Femmes et processus de prise de décisions », et surtout la démarche du COSEF envers les partis politiques. Là nest sans doute pas le plus important du point de vue de lappréhension et de lintelligibilité du politique, si nous entendons par là la potentialité et la possibilité dinno-vation qui peuvent affecter la qualité, la substance du politique, voire les modalités et procédures de la politique. La chose la plus innovante ou la plus révolutionnaire lors des élections de novembre 1996 ne réside ni dans les carences graves notées au niveau de lorganisation matérielle des élections, ni dans la contestation des résultats du scrutin qui, une fois de [Page number of print edtion: 35] plus, ne rompt pas avec la tradition du jeu politique et du rituel électoral au Sénégal. Ce qui est innovant parce que sinscrivant dans une logique de rupture ou pouvant amorcer cette logique, est passé presque inaperçu : il sagit de lencart publicitaire mentionnant lesprit COSEF et quon pouvait trouver dans la presse lors de la dernière campagne électorale. Quest-ce qui peut fonder la capacité dinnovation que nous attribuons à lesprit COSEF? Les mutations à entreprendre pour inscrire la politique dans une perspective éthique sont nombreuses et fondamentales. La transformation de nos lieux de vie et de penser, en ce quelle est corrélative à la méthode éthique quest la démocratie, doit être tributaire non de lexigence defficience (pour la conquête du pouvoir) mais plutôt de lexigence de solidarité pour une amélioration de la vie, pour un mieux-être fondé sur le respect de la dignité et de légalité. Si la femme est lavenir de lhomme comme le chantait Aragon, alors il faut à cette chanson devenir obsession afin de pouvoir se traduire en acte. Il nest certes pas besoin dargumentation pour démontrer et convaincre de lutilité du COSEF. En la matière, sa simple existence suffit. Cependant, lefficacité et lefficience dun instrument dépendent de lutilisation quon en fait. Nous pensons avoir démontré, en nous inscrivant dans une dynamique prospective et constructive, le rôle des femmes dans lémergence dune démocratie qui ne soit pas exclusive mais inclusive, la consolidation dune société qui fasse de lidentité humaine lhorizon éthique du politique, bref lérection dune culture humaniste qui fasse de chaque homme et de chaque femme un sujet moral dont la dignité constitue un lieu indépassable. En dautres termes et pour que la démocratie ne souffre daucun déficit, [Page number of print edtion: 36] il faut que la relation politique aujourdhui cesse de mettre en jeu des clients et des marchandises pour ne sintéresser quà des citoyens, nous entendons par là des hommes mais surtout des femmes dotés de capacité citoyenne. Tous ces éléments sinscrivent dans ce qui a donné naissance au COSEF, à savoir le fait de repenser la démocratie à partir de la problématique femme mais surtout le fait de repenser le mode dêtre et de faire du politique en lui insufflant une dynamique éthique pour que la dignité humaine soit vraiment la seule finalité acceptable. Le COSEF en a conscience car cest pour cela quil est. Mais il faut aller au-delà de la simple conscience ; il faut transformer cette conscience en force et en pratique quotidienne : il sagit réellement dun impératif catégorique. Faire de telle sorte que le COSEF soit un élément incontournable du fait de sa présence réelle dans le champ social : voilà le véritable défi. Le premier axe stratégique en la matière serait la consolidation du COSEF auprès de certains groupes cibles en tant quils structurent ou ont la capacité de structurer laction politique. Nous pensons aux femmes ministres, aux femmes parlementaires, aux femmes politiques et aux femmes intellectuelles. Ce but ne peut être atteint que si par exemple, les militantes des partis politiques sappro-prient cet instrument, si elles y voient un élément didentifica-tion et dappartenance pouvant contribuer au renforcement de leur position à lintérieur même de ces partis, une arme leur permettant de peser sur les décisions. Le mouvement des femmes dans les partis politiques constitue certes un plus, mais il ne remet pas fondamentalement en question le paradigme colonial et la logique [Page number of print edtion: 37] dexclusion qui linforme. Renforcer ce mouvement transpartisan pour uvrer pour la cause de la femme et donc de la société, nest-ce pas là une formidable manière de se doter dun pouvoir de subversion quauto-risent déjà le poids démographique des femmes. IL est vrai que la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des partis se passe de commentaire ; leur nombre dérisoire au regard de la présence féminine massive dans ces partis et du rôle déterminant que joue leur suffrage, doivent amener les militantes politiques à imaginer quelles peuvent avoir une potentialité-hypothèque dau moins 52 %. Le COSEF sera ce quon en fera. Si la démocratie nest pas une affaire de partis, il est également évident quelle ne peut se faire sans les partis ou contre les partis. Pour cette raison, laction envers les femmes dans les partis politiques constitue une des voies daccès les plus efficaces vers les partis en tant quorganisations. Les femmes parlementaires constituent un autre groupe cible parce quelles sont au cur de lacte de législation. Mais pour quoi faire? Pour traduire la force de représentativité de leur parti? Pour consolider juridiquement la position de la femme dans la société? Est-ce que les deux objectifs se recouvrent lun lautre? Ny a-t-il pas, jusquau sein de la représentation nationale, la présence et la pérennisation de ce paradigme de lexclusion qui ne peut être porteur déthique? Il y a à travailler avec ce groupe cible parce quon ne peut parler déthique sil ny a pas le souci de légalité et de léquité et ces femmes sont censées participer à lélaboration des lois qui permettent ou empêchent cela. On peut en dire autant des femmes dans les syndicats ou dans les ONG, secteurs où sont sensés être défendus les droits de la femme dune part et se modeler limage de la femme dautre part. Encore une fois, il sagit moins de faire un listing des co-acteurs du COSEF que dimaginer comment constituer un puissant lobby, avec quels leviers agir, pour peser sur les décisions prises à [Page number of print edtion: 38] lendroit des femmes et qui peuvent hypothéquer leur liberté, leur autonomie, leur responsabilité. Lautre axe stratégique cest le renforcement du pouvoir de négociation des femmes à lintérieur des structures de pouvoir, ce qui suppose réellement quelles aient conscience de limportance de leur rôle qui est trop souvent détourné à dautres fins. Lefficacité de ce travail réside dans sa capacité à peser sur deux secteurs essentiels : léducation et la communication, autrement dit les secteurs où se forme et se fabrique limage de la femme. Léducation, surtout léduca-tion de la petite fille, doit constituer une priorité absolue pour le COSEF. Il convient de mener des actions concrètes pour que de plus en plus de filles aillent à lécole mais surtout y restent. Il ne peut être question de renforcer la capacité des femmes si elles sont exclues du savoir. La donne avec laquelle il faut compter désormais cest que le monde va de moins en moins compter sur les matières premières et de plus en plus sur la matière grise et les effets induits cest-à-dire linformation et la haute technologie. Mais changer le rapport au savoir signifie aussi changer les images véhiculés par ce savoir, les images pas toujours valorisantes de la femme produites par ce savoir. Il importe dêtre vigilant et patient , dinscrire laction dans la durée car elle porte directement sur notre imaginaire. On voit bien quon ne peut se limiter à une conception étroite de léduca-tion: sont impliquées en effet léducation au sein de la famille, ce qui présuppose beaucoup de changements, mais aussi léduca-tion à la citoyenneté et à la démocratie. Aussi, cette éducation ne doit-elle négliger aucun lieu féminin : les mbootay, les tontines, les dahiras, etc. La communication demeure une autre composante sensible de la démocratie et donc un enjeu considérable dans la mesure où elle contribue à la production et au modelage de lopinion publique et donc de limaginaire. Il y a, pour le COSEF, une ur- [Page number of print edtion: 39] gence à avoir un plan daction avec des objectifs précis sur le plan juridique, politique, social pour pouvoir amener la femme sénégalaise à la citoyenneté. Quest ce qui dans le code de la famille soppose à la qualité de citoyenne de la femme? Quest-ce qui globalement et dun point de vue juridique est incompatible avec légalité de lhomme et de la femme, ou alors maintient la femme sous tutelle? Ces éléments doivent être identifiés par le COSEF pour constituer des pistes de réflexion et des points daction. Le plan daction qui gagnerait beaucoup à trouver un ancrage dans létude prospective Sénégal 2015 mais surtout dans Femmes à lhorizon 2015 et le plan daction du Ministère de la femme, de lenfant et de la famille, pourrait être renforcé par la création dun observatoire pour suivre la question de léducation des filles, lévolution des droits de la femme, le traitement des questions relatives à la femmes dans les media, lévolution politique de la femme à savoir linscription sur les listes électorales, limportance de la candidature des femmes, le nombre délues etc. Cet observatoire permettra de surveiller les acquis juridiques par rapport à la pratique quotidienne et donc pourra avec beaucoup plus defficace guider laction. Il est évident que ces quelques points que nous venons de soulever ne nous mènent pas sur le terrain de léthique mais sur celui du politique. Notre hypothèse consiste à dire que la femme ne peut être porteuse dune dynamique éthique si sa capacité citoyenne nest pas renforcée, consolidée. Cest dans cette perspective seulement quelle peut initier une nouvelle civilité politique marquée du sceau de la tolérance. c - Capacité citoyenne et tolérance : pour une nouvelle civilité politique Il en est de la citoyenneté comme de la démocratie et de lEtat de droit : ces trois concepts ont ceci en commun quils peuvent renvoyer à une existence formelle sans pour autant en référer à une existence effective et ceci du fait de lécart entre les acquis juridiques et leur appropriation effective [Page number of print edtion: 40] par les bénéficiaires. En effet, nous pouvons voir affirmer par le texte fondamental la soumission de lEtat à la loi, lorganisation par lEtat dun cadre juridique pour sa société, la protection des droits de lhomme. Toujours dun point de vue formel, peut être affirmée loption démocratique avec la tenue délections libres, lexis-tence du multipartisme, la liberté dexpression etc. De même, le texte fondamental peut fixer la qualité de citoyen, ce qui fait quun individu est membre dun Etat et ce, du point de vue de ses devoirs et de ses droits. Tout ce que nous venons dénoncer renvoie à la sphère matérielle, à la matérialité des institutions qui comporte un code et des procédures en principe rationnels. Nous savons aussi que lindividu, homme ou femme, qui est au cur du dispositif, procède par identification, par appropriation et réappropriation, par rejet, par indocilité si ce nest par ignorance. Il se détermine par quelque chose de symbolique, quelque chose qui est nourri par lhistoire et la culture de sa société et qui déborde la rationalité. Lindividu peut se sentir appartenir à son lignage, à son ethnie, à son terroir, à son quartier et pas nécessairement à son Etat, ce qui laisse supposer quun décalage peut exister entre la sphère matérielle et la sphère symbolique. La politique, quant à elle, recouvre ces deux sphères : matérielle et symbolique. Autrement dit lhabillage institutionnel est une condition nécessaire pour rendre compte de la citoyenneté ou encore de la démocratie et de lEtat de droit. Cependant, il faut quil y ait nécessairement une prise en compte du symbolique pour quon puisse passer du niveau formel au niveau effectif, et cest là où on voit se dégager une prééminence de la citoyenneté sur la démocratie et lEtat de droit : ils ne peuvent en effet se prévaloir de la qualité qui est la leur sans la citoyenneté. La prééminence évoquée est celle que traduit la capacité citoyenne. Lindividu peut être citoyen formellement et être totalement dépourvu de capacité citoyenne. La reconnaissance par lEtat de la qualité de citoyen n'entraîne pas ipso [Page number of print edtion: 41] facto la mise en uvre par lindividu de sa capacité citoyenne : il fera preuve de sa capacité citoyenne le jour où il sortira de lâge de la minorité comme le dit Kant. La capacité citoyenne suppose des principes :
Cest labsence de ces principes qui rend la capacité citoyenne problématique. Des valeurs dordre social, culturel ou religieux peuvent se révéler en contradiction avec les valeurs républicaines. Les premières contribuent à ancrer la femme dans lespace et léconomie domestique alors que les secondes tendent à en faire une actrice de plein droit de la sphère publique ; par exemple le fait que la femme soit mère, épouse, sur, et donc toujours sous tutelle selon la morale sociale ne compromet-il pas sa capacité citoyenne? Nous touchons là un point névralgique parce quétant à la jonction de la sphère matérielle et de la sphère symbolique. Toutefois, il reste que les individus, hommes et femmes, ne peuvent se penser ensemble sils nont pas la capacité de transcender les différences, daller au-delà des cultures et des traditions, de sélever à lidentité humaine. La tolérance, en tant que capacité découte critique et daccepta-tion, ne sera possible que si la citoyenneté est comprise non en termes dappartenance, cest-à-dire dhéritage, mais en termes de reconnaissance de valeurs juridiques cest-à-dire de projet. Cest dans cette perspective que nous inscrivons la nouvelle civilité politique à construire. Cette nouvelle civilité politique doit avant tout raffermir le fait répu- [Page number of print edtion: 42] blicain, cest-à-dire donner une consistance accrue aux principes qui fondent ce dernier, à savoir la liberté des membres de la société, la soumission de tous à une législation unique, légalité de tous les citoyens. Pour être opératoire, cette nouvelle civilité politique doit être adossée à une citoyenneté active. Faire usage de sa capacité citoyenne cest mettre un terme aux manuvres de détournement de la conscience civique, cest exiger des comptes et donc sanctionner. Si comme le disait Aristote, « la république désigne lobjet de la vie politique légitime, le bien commun, lintérêt général », alors chaque citoyen est comptable de cette république : il na ni le droit de faire nimporte quoi, ni surtout le droit de laisser faire. Le droit dexiger des comptes qui en découle contribue à la transparence par lévaluation des moyens par rapport aux fins et celle de laction politique par rapport aux promesses. Il ne peut en être autrement sil faut aller dans le sens de la démocratisation de la société, dans le sens de la radicalisation démocratique. Ne pas perdre de vue la responsabilité civile en se souciant de comment permettre aux populations de sautogouverner, sintéresser aux modes populaires daction politique, cest avant tout uvrer pour une opinion publique forte, pour une société civile active. Toutefois, il ne sagit pas dêtre dupe de la nébuleuse romantique qui entoure la société civile au Sénégal. Cette société civile nest pas toujours le domaine de la liberté; paradoxalement, elle peut savérer être un haut lieu de la manipulation, lendroit où sélaborent des stratégies de position de pouvoir que Machiavel naurait aucun mal à reconnaître tant la ruse qui permet de se rendre invisible comme menace fait office de ressource essentielle dune action qui sautoproclame non politique. Les exemples sont nombreux et il ny a pas lieu dinsister outre mesure. Ce sur quoi il importe dinsister cependant, toujours dans la perspective de la radicalisation démocratique et de la nouvelle civilité politique, cest le bénéfice que les femmes peuvent tirer de la régionalisation. Un des objectifs de la régionalisation consiste en la responsabilisation pour la gestion [Page number of print edtion: 43] des services publiques dinstances élues, proches des citoyens mais aussi soumises à leur sanction politique régulière. La proximité doit être un atout et une opportunité pour les femmes pour sintégrer effectivement au processus politique et de développement, et devenir de véritables actrices de la gouvernance locale. Leur efficacité au niveau des groupements féminins, tant au niveau organisationnel que de gestion, constitue un capital à fructifier et qui peut les aider dans le sens de lauto-estime, de la confiance en soi, de la capacité à travailler avec dautres pour lintérêt général et surtout dans la transparence ; ce capital nest pas à négliger si on sait, par ailleurs, que les femmes nont pas toujours le monopole du manque dexpertise au niveau local. Il semble bien quil y ait par là moyen darriver à une pratique réfléchie de la liberté. La question de léthique et de la politique se pose parce que la démocratie elle-même a perdu son sens, le citoyen ses repères et les mots leur signification. Que veulent dire aujourdhui au Sénégal parti au pouvoir et parti dopposition? Quel est le sens, voire la consistance des projets politiques? Quest-ce qui fait lidentité des partis politiques? Quest-ce qui différencie les acteurs politiques entre eux? Il y a aujourdhui une opinion qui se dégage, comme lattestent les résultats de lenquête menée par létude, qui incrimine la quasi-totalité de la classe politique. La transhumance politique génératrice dune opposition à géométrie variable, les renouvellements politiques qui se font dans un climat de tension et de violence, laccueil empressé et ostentatoire des démissionnaires dun parti par leurs nouveaux camarades, le manque de démocratie interne aux partis, limplication de certains acteurs politiques dans certaines affaires ne contribuent pas à asseoir dans la mentalité populaire une image crédible et positive de la politique ; ils naident pas non plus à linculturation de la démocratie dans nos terroirs et dans nos imaginaires. [Page number of print edtion: 44] Les effets dune telle situation sont là: quils aient pour nom départicipation ou désocialisation, ils mettent en évidence la déconnexion du politique et du social et font planer un danger sur la res publica tant celle-ci est en état de déliquescence. La politique semble ainsi avoir perdu son âme mais lobligation despérer nous est imposée par la mondialité comme culture. Il sagit de choisir entre la vie et la civilisation dune part, la destruction, la guerre, la pauvreté et la mort dautre part. Lalternative, dans sa simplicité et sa gravité extrêmes, nous somme d'uvrer pour une nouvelle civilité politique, pour une pratique réfléchie de la liberté. Il est peut-être vrai comme le disait Rousseau, en parlant de la démocratie, « quun gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes »; par cette affirmation, le philosophe pariait sur lHumain, sur la raison humaine. Les femmes, en tant quelles participent à cette humanité peuvent contribuer à lémergence dune nouvelle éthique politique. NOTES 1Aristote, Ethique à Nicomaque, Paris, Vrin, 1979. 2Jean Brun, Ethique et Politique, p.21. 3Nous donnons à cette expression le sens de lhomme comme fabricateur de lhumain. 4Alain Bihr, Crise de sens et tentation autoritaire, Le monde diplomatique, mai 1992, p. 16 5Babacar Sine, Démocraties Africaines, n° 7, juillet - août - septembre 1996. 6Achille Mbembe, « Des rapports entre la disette, la pénurie et la démocratie en Afrique subsaharienne », Etat, Démocratie, sociétés et culture en Afrique, Editions Démocraties Africaines, 1996, p. 45. 7LEtat en Afrique : indigénisations et modernités, Cahier du GEMDEV, Cahier n° 24, Paris, Juin 1996, p. 172. 8Femmes sénégalaises à lhorizon 2015, Ministère de la femme, de [Page number of print edtion: 45] lenfant et de la famille, Dakar, Juillet 1993, p. 147. 9Kä Mana, LAfrique va-t-elle mourir?, Paris, éd. du Cerf, 1991, p. 163. 10Rokhaya Fall, Femmes et pouvoir dans les sociétés nord sénégambiennes, Communication présentée à latelier sur Héritages historiques et Processus de démocratisation en Afrique : Commentaires dHistoriens, Bamako 26 - 29 avril 1994. 11Boubacar Barry, Le royaume du Waalo, Paris, Karthala, 1985, p. 80. 12Mamadou Diouf, Le Kajoor au XIX° siècle- Pouvoir ceddo et conquête coloniale, Paris, Karthala, 1990, p.61. 13Abdoulaye Bara Diop, La société wolof, Paris, Karthala, 1981 , p.131. 14Katy Cissé Wone, Femmes et pouvoir politique, Cosef-Info, p. 25. 15Rokhaya Fall, ibid. 16Aïssatou Sow Dia, Lévolution des femmes dans la vie politique sénégalaise de 1945 à nos jours, Mémoire de maîtrise, FLSH, Département dhistoire, UCAD, 1994 - 1995. 17Katy Cissé Wone, ibid., p. 26. 18Abdoulaye Ly, Les regroupements politiques au Sénégal (1956 - 1970), Dakar, Codesria, 1992, p. 337. Voir aussi Aminata Diaw, Démocratisation et logiques identitaires en acte : linvention de la Politique en Afrique, Série de Monographies 2/94, Codesria. 19Femmes sénégalaises à lhorizon 2015, p. 13. 20Sénégal - Trajectoires dun Etat (sous la direction de Momar Coumba Diop), Dakar, Codesria, 1992, p. 253. 21Katy Cissé Wone, ibid., p. 26. 22Achille Mbembe, Afriques indociles, Paris, Karthala, 1988, p. 157. 23Ousseynou Faye, Lhabillement et ses accessoires dans les milieux africains de Dakar (1857 - 1960) in Revue sénégalaise dhistoire, n° 1, 1995, pp. 84 - 85. [Page number of print edtion: 46] 24Raymond Polin, La compréhension des valeurs,Paris,PUF,1945, p. 8. 25Clément Rosset, Lanti-nature, Paris, PUF, 1986, p. 184. 26Achille Mbembe, Une économie de la prédation, Foi et Développement, n° 241 mars-avril, 1996, p. 2. 27Femmes africaines et Démocratie, Dakar, éditions Unesco, 1995, p. 47 28Awa Kane, Femmes et Politique : des Récits de vie et/ou de Pratiques de quelques militantes sénégalaises, Mémoire de maîtrise, FLSH, Département dHistoire, UCAD 29Femmes africaines et Démocratie, p.76 30ibid., p. 77. 31Codou Bop, Les femmes chefs de famille à Dakar, Afrique et Développement, vol. XX, n° 4, 1995, p. 62. 32Yewwu Yewwi, Cultures en crise: quelles alternatives pour les femmes africaines?, Dakar 17 - 20 avril 1989. Cest nous qui soulignons. 33Sémou Pathé Gueye, Plaidoyer pour la tolérance politique, Démocraties Africaines, n° 9, janvier - février - mars 1997. 34Raymond Polin, Ethique et politique, Paris, Sirey, 1968, p. 43. 35Sénégal - Trajectoires dun Etat, p. 324 36Liberté académique en Afrique, sous la direction de Mamadou Diouf et de Mahmood Mamdani, Dakar, Codesria, 1994, pp. 94 - 95 37Jean Copans, La longue marche de la modernité africaine,Paris, Karthala, 1990, p. 227 38Cité par Luc Ferry et Alain Renaut, La pensée 68, Paris, Gallimard, 1988, p. 179. 39Kä Mana, op. cit., p. 21 40Luc Ferry et Alain Renaut, op. cit., p.315 41Achille Mbembe, Afriques indociles, p. 28 © Friedrich Ebert Stiftung | technical support | net edition fes-library | Dezember 1999 |