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II- La campagne «Démocratie, où es-tu ?»

Elle a pris plusieurs formes et a permis effectivement de visibiliser l’action du COSEF dans le processus électoral, avec la journée de lancement de la campagne «Démocratie, où es-tu ?», du 30 mars 1998, à la fondation Ebert. Cette journée, présidée par Madame Aminata Mbengue Ndiaye, Ministre de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, a permis à la Présidente du COSEF, Aminata Faye Kassé, de préciser la démarche de l’organisation :
«Cette campagne est officiellement lancée aujourd’hui, mais elle a commencé bien avant, et se poursuivra au-delà des élections législatives qui représentent un enjeu réel pour les femmes qui se battent pour une représentativité proportionnelle à leur poids dans la population sénégalaise (50 % environ)».

Cette campagne que le COSEF a cherché à inscrire dans la durée visait un triple objectif lors des élections législatives :

  • accroître et améliorer l’investiture des femmes sur les listes des partis;

  • encourager les électeurs à prendre en compte la perspective genre dans les choix qu’ils peuvent faire afin que les femmes soient plus et mieux représentées à l’Assemblée Nationale;

  • encourager les différents candidats à prendre en compte les attentes et les spécificités féminines dans l’élaboration et la formation de leurs programmes.

La nature et les objectifs de la campagne «Démocratie, où es-tu ?» ont permis au niveau des médias :

  • de rédiger et de diffuser dans la presse écrite l'Appel [cf. Annexes n° 1] qui articule l‘action du COSEF à la Plate-forme de Beijing;

  • de publier les résultats chiffrés d’une investigation sur la présence des femmes dans les différentes législatures;

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  • de faire auprès des journaux et des stations de radio la promotion de la chanson commanditée par le COSEF ( Annexe 2, page… );

  • de donner des interviews dans la presse écrite pour rappeler les objectifs du COSEF à travers cette campagne;

  • de participer à des émissions sur les différentes ondes radiophoniques pour vulgariser le message et l’esprit COSEF.


1. Les actions et les supports de la campagne «Démocratie, où es-tu ?»

Le souci principal du COSEF lors de la campagne «Démocratie où es-tu?» a été de délivrer, à travers différents supports, un message simple, précis et fort, perceptible par toutes les femmes, quelque soit leur condition sociale, leur âge ou leur niveau d’instruction. Le support musical apparaissait comme un de ceux qui répondait le plus à ces exigences et les Frères Guissé comme le groupe le plus à même de restituer autant que possible le message authentique du COSEF. Une rencontre avec eux a permis d’en discuter de façon approfondie.

Il ne s’est pas agi de chanter comme d’habitude la femme sénégalaise, mais bien de construire un message en rupture avec les stéréotypes traditionnels, qui ancrent la femme dans l’espace de la domesticité, en louant ses vertus de mère et d’épouse. Le fait important et novateur consistait essentiellement à interroger la démocratie à partir de sa composante féminine. Le constat de la contribution massive des femmes, et de leur faible représentativité au niveau de instances de décision, justifiait suffisamment la nécessité de mettre en exergue des valeurs de rupture pour l’émergence et l’effectivité de la citoyenneté de la femme.

L’autre point essentiel qu’il importait de porter à l’attention des Frères Guissé concernait la mélodie. Celle-ci devait rendre accessible le message, elle devait aider à le fixer dans l’imaginaire des populations. En fait, il

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s’agissait uniquement de créer les conditions d’appropriation du message de la chanson par les femmes. Il est apparu très vite, pour tous les membres du bureau, que cette chanson était l’hymne de la femme, celui que le COSEF offrait à la femme sénégalaise. Le fait que la chanson ne soit pas datée devait permettre une exploitation continue et une action de sensibilisation inscrite dans la durée ( Annexe 2, page…).

La discussion avec les Frères Guissé a été fructueuse si on en juge par le produit fini. La chanson ainsi que l’affiche ont pu ainsi servir de support au spot télévisé du COSEF pendant la campagne électorale de 1998.
L’évaluation faite par les antennes régionales montre que la chanson a été le support le plus apprécié pour son contenu, sa maniabilité. Pour l’Antenne de Kolda, elle constitue «l’instrument pédagogique le plus populaire parmi les moyens utilisés». D’une certaine manière, elle a su porter le message du COSEF jusque dans des coins reculés du Sénégal, la condition étant simplement de disposer d’un lecteur de cassette. Cette mise à disposition du message du COSEF a aidé les femmes à construire leur propre argumentaire pour la campagne électorale. Le fait de passer la chanson à la radio, pendant les meeting des partis politiques, mais surtout pendant les «tours», les «ndeye dické» a donné lieu à des échanges articulés principalement autour de la question de la femme, du rapport de celle-ci à la démocratie. Deux enseignements peuvent être tirés à ce niveau :

  • D’une part, Femmes, Ethique et Politique avait suffisamment démontré la division sexuelle de l’action et du champ politique, avec la participation de la femme à la mise en scène, à la théâtralisation du pouvoir [cf. DIAW A. & TOURE A, p.13] . Les «tour», les «ndeye dické», les «mbootay», sites par excellence du féminin, constituent les lieux où les capacités traditionnelles des femmes sont récupérées pour des motifs d’animation politique.

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  • D’autre part, l’approche du COSEF consistait justement à subvertir cette «reproduction au niveau politique des schèmes classiques de répartition des rôles entre les deux sexes [ibid. p.59] . Ainsi que le fait ressortir le rapport de Fatick, ce qui émerge là, c’est sans doute «l’idée de la militante nouvelle».

La chanson a surtout permis de rappeler aux femmes que l’enjeu de ces élections résidait dans leur pleine participation aux structures du pouvoir et à la prise de décision. Le travail du COSEF participait ainsi à la mise en œuvre du Programme de Beijing..
L’évaluation du support peut faire appel à plusieurs éléments :

  • le passage fréquent sur différentes ondes radiophoniques pendant la campagne électorale;

  • le fait que les Frères Guissé aient demandé au COSEF et obtenu la possibilité de faire figurer la chanson sur leur cassette;

  • le fait que l’UNICEF l’ait utilisé pour un spot télévisé sur la scolarisation des filles.

Le regret essentiel réside très certainement dans le fait de n’avoir pas réalisé un «clip» à partir de cette chanson pour inscrire davantage, et dans la durée, ce message du COSEF dans l’imaginaire sénégalais. Il faut rappeler que l’idée n’est pas abandonnée et qu’elle devrait très prochainement connaître un début d’exécution.

Si l’appréciation a été globalement positive pour la chanson, on ne peut en dire autant pour l’affiche.

Il est vrai qu’il s’agit là d’un support peu utilisé par les femmes et à destination des femmes dans le cadre politique. Généralement utilisée par les partis politiques, les syndicats et d’autres types d’associations, l’affiche a plutôt, et de tout temps, fonctionné comme un idiome masculin. La raison essentielle de son utilisation limitée est certainement à chercher dans le fait

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qu’elle allie l’écriture et l’image et que, pour une large part, les femmes sont analphabètes. L’autre raison à évoquer tient ici à la fonction traditionnelle de l’affiche qui est, en période de campagne électorale, de faire connaître le ou la candidate. Pour une fois, l’affiche cherchait à délivrer un message, et surtout à faire réfléchir à partir d’un paradoxe traduit par l’image de l’affiche : la présence massive des femmes aux meetings contrastant effectivement avec celle symbolique dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, ainsi que le montrent les quelques foulards de tête, permet de s’interroger : «Démocratie, où es-tu ?».

Il importe toutefois, au-delà de ces considérations, de faire une précision : l’affiche ne ciblait pas seulement les femmes. L’objectif consistait aussi à rappeler à tous les citoyens l’impératif de ne pas perdre de vue la place de la femme dans une démocratie véritable, autrement dit la nécessaire et responsable implication des citoyennes dans le processus électoral. La campagne d’affichage assurée par les femmes visait à faire de celles-ci des actrices par le fait de coller des affiches, de décider de l’emplacement, de répondre aux interpellations suscitées par ces affiches. Saint-Louis montre, par rapport à cette campagne d’affichage, quelle a été la réaction des hommes et celles des femmes. Si l’affichage a suscité l’enthousiasme des femmes, les hommes ont fait prévaloir un sursaut tardif de la part des femmes, et surtout insister sur le fait qu’ils ne leur feront pas de cadeau. La leçon tirée par les membres de l‘antenne régionale de Saint-Louis est une motivation renforcée pour lutter pour le COSEF.

Il y a lieu de croire, à travers cette campagne, en un renforcement de la capacité offensive des femmes pour construire un argumentaire défendant les idéaux du COSEF. D’une manière générale cependant, il est ressorti du rapport des antennes régionales (cf Fatick, St-Louis) plusieurs éléments qui méritent d’être rappelés :

  • Il y a eu un véritable travail d’appropriation par les femmes si on prend acte du travail de suivi et de contrôle effectué sur le terrain pour s’assurer que les affiches étaient véritablement en bonne place.

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  • La campagne d’affichage a permis aux femmes de développer un partenariat avec différentes structures évoluant à la base : il s’agit essentiellement d’associations culturelles et sportives (ASC), des quartiers, des groupements féminins. Des cas ont été signalés, où grâce à la collaboration avec les groupements féminins, des affiches ont été apposées dans des cases foyers se situant dans des coins très reculés.

  • La campagne d’affichage a permis aussi de démontrer que les femmes avaient, à partir d’une initiative centrale, la capacité de développer des initiatives particulières. En effet, le rapport de Ziguinchor montre, à partir de la campagne d’affichage, la décision prise par la Coordonnatrice des Actions féminines, Mme Ndeye Dioum, d’initier les femmes aux techniques de vote dans les communautés rurales.

Quelle leçon globale peut-on tirer de cette opération ?

Sans doute faut-il tirer une appréciation mitigée de cette campagne médiatique : si une satisfaction réelle est de mise par rapport au message du COSEF à la télévision nationale, à la qualité de la participation des différents membres du COSEF à plusieurs émissions radiophoniques, à la sollicitation de ces mêmes organes de presse pour recueillir le point de vue du COSEF, il en est autrement de la capacité du COSEF à inscrire un débat d’idées sur la démocratie questionnée à partir de la femme. Le COSEF aurait pu être plus offensif, plus prospectif en initiant ce débat dans la presse, en publiant des articles de fond sur la question, en invitant des personnalités intellectuelles et politiques à participer à ce débat. De ce point de vue, le COSEF a été ou moins ambitieux, ou incapable théoriquement d’être le support d’une telle ambition.

Doit-on simplement se contenter de demander à des secrétaires généraux de parti de tenir davantage compte des attentes et des spécificités féminines dans l’élaboration et la formulation de leurs programmes, d’accroître et d’améliorer l’investiture des femmes sur les listes des partis politiques ?

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La rencontre avec les secrétaires généraux de parti lors des élections de novembre 96 montre amplement que ces derniers peuvent très bien, par rapport à la question des quotas, prendre des engagements qu’ils ne respectent pas toujours. Que faire ?

La réponse à cette question requiert d’abord un rappel : le COSEF est un mouvement transpartisan qui compte en son sein des militantes appartenant à différents partis politiques, mais aussi différentes compétences intellectuelles. Le défi du COSEF sera très certainement d’amener les femmes politiques en son sein à mettre à disposition les programmes de leurs partis, à en préciser l’esprit et les objectifs. Ce travail doit être articulé à une réflexion théorique transdisciplinaire.

Une phase du combat du COSEF a été le rappel des principes comme la justice, l’équité, la représentativité des femmes au niveau des instances de décision etc. Le moment est venu d’aller au-delà de l’affirmation ou du rappel des principes pour chercher à connecter la théorie et la pratique. Des actions allant dans ce sens ont déjà été effectuées avec le séminaire atelier des 30 et 31 mai 1996, ou encore celui des 13 et 14 décembre 1997, qui ont donné lieu à des réflexions substantielles [Femmes et processus de prise de décision : après Beijing quelles stratégies face aux prochaines élections (30-31 mai 1996) ; Femmes, Ethique et Politique (13-14 décembre 1997)].
Il reste à aller plus loin, à faire des programmes des partis politiques dans le domaine de l’éducation, de l’industrie, de la pêche, de l’agriculture, du commerce ou encore du tourisme, des préoccupations du COSEF et surtout des objets d’investigation. La participation du COSEF au processus électoral ne peut être efficiente que dans ce sens car le COSEF a avant tout un devoir de vigilance. A cet égard, Il convient de tenir compte des enseignements tirés de l’évaluation sur le terrain


2-Evaluation globale critique du travail effectué sur le terrain

2.1 - Des problèmes à résoudre, des défis à relever

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Le retard signalé par certaines antennes régionales pose un certain nombre de problèmes :

  • Le fait que la campagne d’affichage ait démarré en même temps que la campagne électorale n’a peut-être pas toujours contribué à une meilleure visibilité du message du COSEF.

  • La disponibilité d’un nombre important de membres du COSEF a sans doute souffert de l’implication personnelle de celles-ci dans la campagne électorale en tant qu’actrices politiques. Ce constat montre à l’évidence que le COSEF devra, pour le futur, et pour un impact plus tangible, avoir une capacité d’anticipation dans la conception et dans les actions. L’implication des membres non politiques du COSEF dans la campagne du COSEF pourrait très certainement participer à une plus grande efficacité de l’action de l’organisation.

  • Ainsi que l’indique la lecture des rapports des antennes, une meilleure coordination entre le bureau de Dakar et les antennes régionales aurait permis d’harmoniser les approches sur le terrain et de rendre l’action plus efficiente. Le COSEF devra à l’avenir compléter le lancement de la campagne au niveau national par des manifestations identiques au niveau régional.

  • Le fait que le COSEF ne dispose pas de ressources en réserve et qu’il doive, pour chaque activité, chercher un financement constitue une contrainte pour les activités de l’organisation. Encore une fois, il s’agit de développer davantage cette capacité d’anticipation qui peut lui permettre de rechercher et de trouver du financement pour éviter de mener ses activités sous la pression et dans l’urgence.

  • Le manque de logistique, l’insuffisance des ressources humaines du fait de l’implication des membres du bureau dans les activités professionnelles,

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    politiques et syndicales etc. ne permettent pas toujours une disponibilité à hauteur de la générosité de l’engagement. Un appui institutionnel, de ce point de vue, aiderait le COSEF à aller dans le sens de son ambition.

  • Le manque de ressources tantôt signalé permet, s’il est comblé, de répondre en partie à une sollicitation importante des antennes régionales. La question fondamentale qui a été posée, dans différents rapports d’activité et d’évaluation, a trait à la possibilité pour le COSEF de soutenir directement des candidates en les appuyant financièrement. On ne peut répondre à cette sollicitation qu’en se demandant si elle participe au renforcement de l’esprit COSEF et à l’avancée de la promotion de la cause des femmes. Il est vrai que les campagnes électorales nécessitent des moyens substantiels et ceci est accentué par le clientélisme politique. Par ailleurs, les femmes de façon générale, ne disposent pas de ces ressources et n’ont pas toujours les moyens de les mobiliser.

Ceci dit, on doit par rapport à la sollicitation avoir une position très claire : la solution pourrait résider dans cette capacité d’anticipation tantôt évoquée qui permettra au COSEF de lancer sa campagne bien avant les consultations électorales. Il serait ainsi possible d’avoir une disponibilité plus importante des membres du COSEF et surtout de donner une visibilité plus grande à l’action de l’organisation. Cette solution paraît la plus à même de traduire l’esprit transpartisan qui est le label du COSEF. Ce caractère transpartisan, comme identité et force du COSEF, doit surtout être préservé. C’est peut-être par ce biais que les femmes pourront participer au renforcement et à l’approfondissement de la démocratie en mettant en exergue les valeurs de paix, de justice, d’équité mais surtout de tolérance. Il faut reconnaître comme acquis positif le fait que le COSEF ait participé au processus électoral en mettant en avant son identité transpartisane. Cette campagne a nécessité, chez les actrices politiques membres du COSEF, un énorme travail sur elles-mêmes, c’est-à-dire le fait d’avoir souvent à déconnecter leur appartenance de genre de leur appartenance politique : il leur a fallu souvent parler en tant que femme avant de parler comme militante.

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Même si le COSEF n’a pas choisi la voie la plus facile pour entrer dans cette campagne électorale, les populations ont très souvent été convaincues de l’utilité et de la pertinence de la démarche de l’organisation.

Dès le départ, le COSEF a été assez vigilant pour inscrire sa campagne «Démocratie, où es-tu ?» dans la durée : il est évident en effet que cette campagne s’inscrit dans une perspective de rupture dans les comportements, les mentalités, dans la façon même d’appréhender la politique et surtout la démocratie.

Cet enjeu important a bien été bien perçu par la presse. On peut s’en convaincre en parcourant les parutions de la presse relative au COSEF ou à la question de la femme au moment de la campagne électorale : «Législatives 98 : Le COSEF interpelle la classe politique» (Matin 30 mars 1998), «Le COSEF démarre la campagne électorale : être femme, un handicap politique à vaincre», «Améliorer l’accès aux centres de décision» (Matin 31 mars 98), «Démocratie, fo feete ?: la chanson des femmes» etc.

La presse parlée n’a pas été insensible à cet engagement et à la démarche du COSEF comme l’indique le fait de presque toujours rappeler la question des femmes dans les débats politiques, ou encore de solliciter des membres du COSEF pour participer à ces débats ou pour donner le point de vue de l’organisation sur telle ou telle question etc.

Malgré ces réactions positives et encourageantes de la presse, le COSEF se doit d’avoir une véritable politique de communication pour pouvoir visibiliser davantage son action, renforcer son impact et assurer une présence continue sur le terrain et dans l’imaginaire des populations. Ce challenge peut réussir si le COSEF s’appuie en plus sur des femmes communicatrices de profession, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation, pour que la dimension genre soit à chaque fois prise en compte. L’efficacité et le suivi de l’action du COSEF ne doivent jamais perdre de vue ce qui participe à la formation et à l’information de l’opinion publique.

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2.2- Paroles d’hommes, combats de femmes

Une des priorités que le COSEF s’était assigné au sortir du séminaire de mai 1996 sur Femmes et processus de décision au Sénégal a été de faire élire un maximum de femmes aux élections locales, municipales et rurales de novembre 1996. Le dialogue initié par le COSEF avec les secrétaires généraux de partis politiques s’inscrit dans cette optique ; il a permis aux membres du Conseil d’interpeller les politiques sur la place qui sera faite, lors de ces élections de 1996, aux femmes, électrices fidèles des hommes de tous bords, mais rarement élues ou nommées à des postes de haute responsabilité.
Il s’agira pour nous ici dans notre analyse de mettre côte à côte l’engagement pris par certains secrétaires généraux de parti devant le COSEF et la position effective de ces partis pendant les élections de novembre 1996, comme celles de mai 1998 pour voir quelle est la réalité de l’avancée de la question de la femme, aussi bien à l’intérieur des partis que dans le processus électoral dans son ensemble.

Le COSEF a envoyé une correspondance à nombre de partis politiques pour être reçu et surtout pour discuter de la place et de la représentativité des femmes. Beaucoup de partis ont répondu à cette sollicitation du COSEF : CDP, RND, AJ/PADS, PIT, LD/MPT, PDSR, RPS, PAI, RDC, UDF/Mboolo-mi.

Une première remarque s’impose : si la démarche du COSEF a été globalement appréciée, seuls trois partis sur les neuf rencontrés ont accepté de prendre des engagements fermes sur le pourcentage de femmes sur les listes électorales de novembre 1996.

La CDP a affirmé que son parti a, depuis longtemps, décidé en toute responsabilité de réserver 40% des candidatures aux femmes, et surtout de veiller à l’application de ce principe pour les élections de novembre 1996. Cet engagement a été reconduit pour les élections de mai 1998 lors de la seconde rencontre du COSEF avec M. Iba Der Thiam. Il faut noter toutefois que l’examen des listes d’investiture de l’élection de mai 1998 donne à voir

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un pourcentage nettement en deçà de l’engagement pris : 13% des femmes ont été investis avec 18% sur la liste proportionnelle et 7% sur la liste majoritaire [cf. Annexes].

Suite à la réunion de son bureau politique du 2 juin 1996, le RND avait décidé de réserver 33% des candidatures aux femmes. Cet engagement a été réaffirmé par M. Madior Diouf lors de la deuxième rencontre du COSEF avec son parti. Malgré cet engagement, seuls 10% des candidatures ont été réservés aux femmes aux élections de novembre 1998 : soit 14 % sur la liste proportionnelle et 6 % sur la liste majoritaire.

AJ/PADS a rencontré le COSEF avant les élections de 1996 comme celles de 1998. Lors de ces entretiens, M. Landing Savané a rappelé au COSEF que le principe de la parité est inscrite dans le Manifeste de AJ/PADS. Toutefois et en rapport avec l’expérience vécue, le parti a pris l’engagement de réserver 33 % des candidatures aux femmes. Les listes d’investiture pour les élections de 1998 montrent que seules 13 % des candidatures seront finalement dévolus aux femmes.

D’une manière générale, l’examen des pourcentages de femmes sur les listes d’investiture pour les élections 1998 montrent globalement que ceux-ci sont très en deçà des engagements et des quotas annoncés.

Un certain nombre de partis rencontrés n’a pas souhaité prendre d’engagement chiffré en la circonstance. Même si certains partis ont émis des réserves par rapport au principe des quotas (LD, PAI), il reste que tous ont manifesté une préoccupation très forte par rapport à la représentation des femmes, mais surtout à la place qu’elles devront occuper sur les listes. C’est ainsi que la LD/MPT, par le biais de son Secrétaire général, M. Abdoulaye Bathily, a fait part de la volonté de son parti de promouvoir les femmes en leur réservant une place importante. Telle a été la recommandation

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essentielle de leur séminaire national sur les élections. La conférence du MDF a aussi formulé des conclusions en ce sens. Toutefois, les élections de mai 1998 montrent que 9 % seulement des candidatures ont été réservés aux femmes, dont 13 % sur la liste proportionnelle et 4 % sur la liste majoritaire.

Le PIT a rencontré le COSEF en 1996 et en 1998. Même si le PIT est sensible à la question des femmes et surtout à la nécessité de promouvoir ces dernières, il reste cependant méfiant par rapport à la pertinence des mesures spéciales artificielles comme le quota. Toutefois, lors de la rencontre de 1996, M. Amath Dansokho annonçait déjà la convocation d’un comité central spécialement sur cette question. Les élections de mai 1998 révèlent que seuls 12 % des candidatures ont été réservés aux femmes, soit 18 % sur la liste proportionnelle et 6 % sur la liste majoritaire.

Le PDSR n’a pris aucun engagement chiffré véritable auprès du COSEF. Son Secrétaire général, le Professeur Serigne Diop, a plutôt affirmé qu’il ne serait pas surpris que les candidatures féminines représentent plus de 50 % sur les listes du PDSR. Au regard des pourcentages de femmes sur les listes d’investiture des élections de mai 1998, on peut noter que seules 16 % des candidats sont des femmes, dont 21 % sur la liste proportionnelle et 10 % sur la liste majoritaire.

Lors de sa rencontre avec le COSEF, le parti de Ely Madiodio Fall, le RPS, a clairement indiqué ne pas établir de distinction entre les hommes et les femmes, se focalisant plutôt sur la capacité individuelle. Ce parti reconnaît la non représentation des femmes à sa plus haute instance de direction, même si cette question constitue une préoccupation prioritaire et qu’aucune mesure spécifique n’ait été prise. Néanmoins, les listes d’investiture de 1998 montrent que 29 % des candidatures ont été réservés aux femmes, dont 29 % sur la liste proportionnelle et 30 % sur la liste majoritaire.

Le COSEF a certes rencontré le RDC de M. Samba Laobé Diop, mais ce parti ne s’est présenté ni aux élections de novembre 1996 ni à celles de

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mai 1998. Cependant, il avait fait part de son souhait de réserver au moins 50 % des candidatures aux femmes, au cas où son parti se présenterait.

L’UDF/MBOOLO-MI avait promis, par la voix de son Secrétaire général, M. Amadou Ongué Ndiaye, une présence majoritaire des femmes sur les listes des législatives. En réalité 38 % des femmes ont été investis, soit 40 % sur la liste proportionnelle et 27 % sur la liste majoritaire.

Le PAI, lors de sa rencontre avec le COSEF en 1996, avait fait part de sa réserve par rapport au principe des quotas. Ce parti n’a malheureusement pas présenté de liste aux élections de 1996 ni à celles de 1998.

En 1996 comme en 1998, le COSEF a eu à écrire aux secrétaires généraux du PS, du PDS, du BCG, du Jef-Jel USD (Renouveau) pour exprimer son souhait de les rencontrer. Il n’y a eu aucune suite aux correspondances du COSEF. La position de principe du PS par rapport à la question des quotas est connue de tous : 25 %. Seulement, l’examen de la liste des investitures révèle que pour les élections législatives seuls 16 % des places étaient réservés aux candidates, soit 27 % sur la liste proportionnelle et 6 % sur la liste majoritaire.

Si on peut se prononcer sur la position du PS par rapport à la question des quotas, l’entreprise s’avère plus difficile pour le PDS. Ce parti a investi aux législatives de mai 1998 13 % de femmes, soit 24 % sur la liste proportionnelle et 1 % sur la liste majoritaire. Le BCG a investi un total de 29 % de femmes, avec 31 % sur la liste proportionnelle et 24 % sur la liste majoritaire. La coalition JEF-JEL USD (Renouveau) se contentera d’investir 11 % des femmes : 16 % sur la liste majoritaire et 6 % sur la liste proportionnelle.

Au regard des listes d’investiture on peut facilement porter crédit aux trois remarques fondamentales de Aïssata Dé [cf. Annexes] :

  • Le pourcentage des femmes investies sur les listes nationales varie entre 13 et 50 % ; le pourcentage le plus élevé étant atteint par des partis non

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    encore représentés à l’Assemblée nationale, très certainement parce que l’enjeu se révèle moins important dans ce cas.

  • Les partis et coalitions (particulièrement ceux actuellement représentés à l’Assemblée nationale) ont tous tendance à investir les femmes de la même manière : un nombre relativement important (et parfois élevé) de femmes investies sur les listes nationales et un très faible pourcentage de femmes investies au niveau départemental. Pour une bonne assise politique, les femmes ont besoin de renforcer leur participation et leur représentativité au niveau de la base.

  • La position des femmes sur les listes où elles ont atteint un pourcentage assez élevé n’est en général pas favorable pour leur éventuelle élection.

On peut, à côté de ces remarques de fond, examiner de plus près les listes d’investiture pour les élections législatives de mai 1998 afin de voir quelle est la position des deux premières femmes :

ADN :

11° et 26° positions

AJ/PADS :

3° et 14° positions

BCG :

12° et 13° positions

Benno Jubël :

11° et 12° positions

CDP :

3° et 18° positions

Jef-Jel/USD :

12° et 13° positions

LD :

9° et 13° positions

MRS :

3° et 8° positions

MSU :

8° et 10° positions

PDS :

3° et 8° positions

PDSR :

4° et 5° positions

PIT :

2° et 110° positions

PS :

2° et 6° positions

RND :

2° et 22° positions

RPJS :

4° et 24° positions

RPS :

6° et 8° positions

UDF :

7° et 8° positions

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Le premier constat montre que, sur 17 partis, 8 seulement ont présenté deux candidates au niveau des dix premières places. Par ailleurs, les partis de tradition marxiste ne se démarquent pas de l’ensemble : la LD sur ce plan a beaucoup de retard à rattraper, surtout au regard des deux plus grands partis que sont le PS et le PDS.

La représentativité substantielle ou non des femmes, en bonne position sur les listes proportionnelles surtout, est à mettre en rapport avec leur présence au sein des instances de direction de leurs partis. Par exemple, pendant longtemps, le SEP (pour la LD) ne comportait aucune femme et le Secrétariat du CC(PIT) n’en comportait qu’une. Le fait que les membres de ces deux instances occupaient les premières places sur les listes électorales a d’emblée signifié une absence remarquée des femmes ou alors une présence symbolique. De plus en plus l’esprit de Beijing est en train de souffler dans les organisations.

On a pu aussi relever que 12 partis ont eu à confier des têtes de listes départementales à des femmes : PDSR (Podor, Matam, Touba, Bakel), Jef Jel USD (Bignona), Benno Jubël (Dagana), BCG (Kolda), MSU (Diourbel, Ziguinchor), AJ (Gossas, Kédougou), PS (Kaffrine), CDP (Diourbel, Kédougou) UDF (Tivaouane), PIT (Kaolack, Sédhiou, Bignona, Podor), RND (Rufisque, Foundiougne, Sédhiou), LD (Kédougou).

Il est à noter que des partis de masse comme le PS et le PDS ont peu fait appel aux femmes pour conduire les listes départementales. Pour être plus précis, le PDS n’a point fait appel à des femmes pour conduire des listes départementales et une seule liste départementale PS a été conduite par une femme.

L’évaluation globale critique de la campagne permet de voir que la démocratisation de la société interpelle la femme sénégalaise en ce qu’elle l’implique dans le processus de la pleine citoyenneté. Ce processus ne fait entrevoir sa finalité que par une mise à l’épreuve de la combativité de la femme

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par son attachement sans faille à des valeurs qui seules peuvent donner sens à la République et à la Démocratie.

Les élections constituent des moments forts de ce combat pour la République et pour la Démocratie. Elles peuvent favoriser ou non la visibilité de la question de la femme selon l’enjeu du moment : la nature différente des élections de 1996 et 1998 le montre amplement. Le Sénégal s’achemine vers les présidentielles de l’an 2000 et il y a lieu de se demander s’il ne s’agit pas là d’une gageure pour le COSEF.


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