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I – Le COSEF dans l’environnement politique sénégalais et le contexte des élections


1. Le COSEF dans l’environnement politique sénégalais

Les journées d’étude et de réflexion sur Femmes en Démocratie au Sénégal, initiées par l’Institut africain pour la Démocratie (IAD), ont eu à regrouper des femmes des partis politiques, des groupements économiques féminins, des organismes de promotion de la femme, des femmes de la société civile, des étudiantes, le ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille. Cette rencontre avait permis aux séminaristes de faire le constat unanime suivant :
«Malgré les acquis enregistrés dans le sens d’une plus grande émancipation des femmes sénégalaises, des blocages -liés aux clivages et actions isolées des différents mouvements de femmes existants et aux contraintes de tous ordres- perpétuent la marginalisation et la discrimination des femmes sénégalaises sur le plan juridique, culturel, politique et socio-économique».

Convaincues de la nécessité «d’une structure de concertation nationale, légère, fonctionnelle et représentative de l’hétérogénéité des centres d’intérêt des femmes sénégalaises», les séminaristes ont décidé de s’atteler à la création du COSEF en mettant sur pied un comité d’initiative présidé par l’écrivain Aminata Sow Fall.
Après une série d’actions et de rencontres, ce comité devait décider de la date de la mi-janvier 1995 pour la tenue de l’Assemblée générale constitutive. Finalement, celle-ci se tiendra le 11 mars 1995 à la Chambre de Commerce de Dakar sous la présidence effective de Madame N’Dioro N’Diaye, Ministre de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, en présence de Madame Odile Sorgho-Moulinier, Représentant résident du PNUD, et Monsieur Babacar Sine, Directeur de l’IAD. Plus de quatre cents femmes ont participé à cette assemblée générale. La presse a parlé «d’évé-

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nement historique», ou encore «d’accouchement au forceps» : l’atmosphère de l’Assemblée générale constitutive montre, dans une certaine mesure, que la générosité de l’idée n’a pas pour autant facilité sa concrétisation. Ce qui devait faire la spécificité du COSEF a aussi été ce qui a inspiré le plus de suspicion, de réticence ou d’interrogations.
Selon Gnagna Cissé, «Le fait que le comité d’initiative ait proposé à l’assemblée d’adopter un comité directeur, dont on n’a pas défini au préalable les principes de cooptation ni l’identité des membres, a été d’une grande maladresse et semble accréditer l’idée persistante dans l’esprit de nombre de participantes, que la liste proposée a été le résultat de manœuvres politiciennes entre partis politiques et associations féminines qui, mis à part quelques concessions faites à la société civile, se sont partagés un gâteau d’autant plus prometteur que cette année les bailleurs de fonds ont prévu des sommes très importantes pour les femmes sénégalaises [Témoin, hebdomadaire d’informations générales du mardi 14 au lundi 20 mars 1995, n°238.] »
La suspicion ainsi traduite est corroborée par F. K. Kuwonu qui conclut ainsi son article :
«Mais parce qu’il se veut comme un conseil au sens de prestataire de service, le comité directeur de 45 membres, provisoirement formé pour six mois (présidé par Maréma Touré) qui est chargé de reconvoquer une assemblée dans ces délais, devrait s’atteler à dissiper les nuages qui se sont déjà amoncelés dans le ciel du COSEF. Il voudra surtout reformuler en termes plus explicites toute l’originalité du nouveau cadre et (re)persuader que le COSEF tend à fédérer toutes les expertises individuelles féminines au service de toutes les femmes sénégalaises et de toutes les institutions féminines». [Sud, 13 mars 1995.]
La difficile gestation d’un esprit transpartisan, l’esprit COSEF, augurait de l’ampleur des défis à relever car, par ailleurs, la présence de chaque femme dans cette salle de la Chambre de Commerce était en soi l’adhésion à la nécessité de l’existence d’une telle structure. Mais ce qui importe surtout, c’est de voir la double raison qui a concouru à cette participation massive des

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femmes : on peut évoquer d’une part la nécessité de «visibiliser» l’action des femmes; d’autre part, l’impératif de renforcer et d’approfondir la démocratie sénégalaise.

Le COSEF peut être considéré comme la résultante d’un paradoxe qui se donne à voir à travers quelques éléments : une implication massive des femmes dans la politique d’une part, d’autre part une marginalité des questions relatives à la femme dans les agendas politiques, ainsi que l’insuffisance de femmes élues dans les sphères de décision. Ce paradoxe est tributaire de l’histoire de la société sénégalaise qui donne configuration à un imaginaire politique masculin. Il y a en effet «une division de l’action et du champ politique qui maintient la femme dans un rôle de médiation et de subordination, et parallèlement, érige l’homme en bénéficiaire absolu du système, et donc en fait l’unique acteur, l’unique sujet [DIAW A. & TOURE A., op. cit., p.14] ». Il est vrai que la trajectoire des femmes en politique, au regard de cette histoire et de la mémoire dont elle est porteuse, ne peut être qu’ambiguë [CISSE WONE K., Femmes et Pouvoir politique, COSEF-Info, p.25] ; ce qui les met au service d’entrepreneurs politiques [ibid. p.26].
Cette dynamique historique continue encore, d’une certaine manière, à affecter l’action politique des femmes, leur présence dans l’espace public, les mécanismes susceptibles ou non de les hisser dans les instances de décision. Si comme le note Aminata Touré «les femmes constituent les bases naturelles des partis où elles reproduisent la configuration de leurs réseaux de groupement traditionnel» [DIAW A. & TOURE A., op. cit., pp 57-58], on peut aussi s’accorder avec elle pour relever les modes d’organisation beaucoup plus égalitaires et démocratiques de ces réseaux, à côté de la reproduction en politique des schèmes classiques de répartition des rôles entre les sexes. On assiste ainsi à une sous représentation des femmes dans leurs partis et au conservatisme de ces derniers quant à la promotion de leurs militantes.

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L’enquête réalisée par le GREF [GREF, "La place des femmes dans les instances décisionnelles", Dakar, décembre 1998.] pour mesurer le degré d’implication des femmes dans les instances de décision pour les formations politiques actuellement représentées à l’assemblée nationale est assez édifiante : sur les onze partis, cinq ont un pourcentage de femmes situé entre 10 et 13% (PS, PDS, URD, CDP, PIT), quatre partis entre 20 et 27 % (AJ/PADS, FSDBJ, PDSR, BCG), deux partis ont entre 0 et 6 %(LD/MPT, RND). Le pourcentage moyen de 14,40% montre de façon non équivoque la très faible représentation des femmes dans les instances de décision des partis, la trajectoire encore très ambiguë des femmes du fait des contraintes qui perdurent.

Il s’agit néanmoins, au-delà des contraintes qui perdurent, de préciser qu’il y a eu une évolution même timide, amorcée d’une part par le mouvement associatif féminin au milieu des années 70, à la faveur de l’Année internationale de la Femme et de la proclamation de la décennie, d’autre part au milieu de la décennie 80 avec le discours radical sur les femmes, produit par les sections féminines des partis politiques de gauche, par des groupes comme Yeewu-Yewwi ou Femmes et Société. Il s’agit là d’un acquis considérable qui a libéré la parole féminine en mettant l’accent sur les discriminations de toutes sortes dont les femmes font l’objet. Le COSEF est l’héritière de tout ce processus historique qui va inscrire la parole féminine dans l’espace de la cité. On peut donc mettre en rapport la libération de la parole féminine avec la libéralisation du champ politique. Ce qui, peut-être, est remis au goût du jour pour les femmes depuis la fin de la décennie 80, et surtout dans les années 90 c’est la nécessité de la prise en charge de la dimension genre et surtout la conscience aiguë qu’elles écriront ensemble leur histoire, par-delà leurs appartenances politiques respectives.
La démocratie sénégalaise a besoin de se renforcer, de s’approfondir, et cela ne se fera pas sans la capacité citoyenne des femmes. Elles le savent et veulent le faire savoir à la société toute entière, mais aussi et surtout à l’intérieur de leurs

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partis. Comment adjoindre, à la dynamique de pouvoir qui informe l’action politique, une autre, démocratique celle-là, pour qu’il y ait plus de femmes dans l’espace public, dans les sphères de décision? Ces questions n’étaient pas absentes de l’esprit de ces femmes qui ont créé le COSEF et qui continuent encore à le faire vivre. Elles justifient la présence du COSEF dans le processus électoral, moment fort de la République, et procédure par excellence de la Démocratie. La préoccupation première ici est de voir comment le COSEF, dans ce temps fort de la République et de la Démocratie, inscrit la question de la femme au cœur des préoccupation politiques ? Quels sont les mécanismes mis en place par l’organisation pour qu’il y ait jonction entre la logique de pouvoir et la logique démocratique, entre l’enjeu de pouvoir et l’enjeu démocratique ? L’action du COSEF dans les élections de 1996 et celles de 1998 servira à cet effet de terrain d’analyse. Il convient dès lors de s’intéresser avant tout au contexte des élections de 1996.


2 - Elections locales de novembre 1996:La femme, simple objet de convoitise ou actrice de sa mutation politique ?

2.1 - Contexte général des élections locales de novembre 1996

A son accession à la souveraineté internationale, le Sénégal avait adopté une politique de décentralisation progressive. Il convient de rappeler que la première collectivité locale au Sénégal date de 1872 ; en 1960, le pays comptait déjà 33 communes.

  • En 1966, le code de l’administration communale est adopté.

  • En 1972, la loi 72.25 du 25 avril 1972, portant création des communautés rurales, renforce la décentralisation et donne la possibilité aux paysans d’élire des conseillers ruraux.

  • En 1990, la commune est ramenée au régime de droit commun et la loi 90.37 du 8 octobre 1990 retire la gestion des communautés rurales aux sous préfets et la remet entre les mains des présidents de conseils ruraux.

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Ce processus va se poursuivre en 1996, date de l’adoption de la loi n° 96.06 portant Code des Collectivités locales et qui rassemble les textes de loi de la décentralisation. Cette réforme est définie dans un souci de répondre à la double préoccupation de liberté et de proximité: «des autorités décentralisées et proches des citoyens libres de leurs décisions, des représentants de l’Etat sur le terrain, dotés de pouvoirs déconcentrés, un contrôle de légalité adapté» [Textes de loi de la décentralisation, p. 6] , Ainsi trois ordres de collectivités locales sont établis : les régions, les communes et les communautés rurales ; les dix régions du Sénégal devant compter 378 collectivités locales avec deux niveaux de base et un niveau intermédiaire.

A la page 8 du Code des Collectivités locales, il est stipulé que celui-ci entrera dans sa phase d’application «à compter de l’installation des conseils régionaux, municipaux et ruraux, issus des élections locales qui suivent sa date d’entrée en vigueur».

Il apparaît clairement, à la lecture de ces dispositions, que l’élection de ces conseillers régionaux, municipaux et ruraux lors des consultations de novembre 1996 constituaient un enjeu très important pour l’ensemble des acteurs politiques sénégalais.

Lors du séminaire du Mouvement national des Femmes socialistes du 17 août 1996 sur le thème «régionalisation et technique de vote», M. Souty Touré, Ministre de la Décentralisation de l’époque, disait à propos de la politique de régionalisation et en faisant un parallèle entre Mai 1968 et Février 1988 : «elle permettra de désamorcer les effets explosifs des contestations sociales et éteindre les foyers de tension en permettant aux groupes de base de contrôler la gestion publique. L’espace régional sera le lieu où les masses pourront instaurer le débat».

Cette réforme administrative répond bien à des préoccupations de gestion politique des populations par une démarche censée les contenir dans leurs velléités de rébellion.

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Les enjeux déterminants des futures consultations électorales de novembre 1996 vont d‘ailleurs marquer particulièrement le champ politique tout au long des différentes tribulations enregistrées par le parti au pouvoir, le Parti socialiste. Les douloureuses opérations de renouvellement du personnel politique au sein du PS ont constitué une étape dans le processus de réorganisation-réorientation du parti en vue des prochaines élections. La victoire à ces consultations électorales constitue de manière déterminante un bon positionnement pour les élections législatives de mai 1998 et partant celles présidentielles de février 2000. D’ailleurs, au congrès du 30 mars 1996 défini par les observateurs politiques comme le congrès ayant marqué l’hégémonie des «refondateurs» sur le Parti socialiste, le Président Abdou Diouf dira «[…] ou nous remportons ces élections régionales et locales ou nous enregistrons une défaite qui peut être irrémédiable pour notre avenir» [Walf n° 1216, avril 1996, p. 6.]. La restructuration du parti décidée lors du congrès extraordinaire de juillet 1994 sera concrétisée par le redécoupage des instances de base [Les coordinations passent de 46 à 86] et ce, dans le souci «d’une meilleure gestion du parti en adoptant une démarche de proximité envers les militants».

Les paroles du président Diouf rappelées plus haut étaient d’autant plus importantes et nécessaires que les blessures ouvertes, occasionnées par les opérations de renouvellement, ne s’étaient pas encore refermées et menaçaient de gangrener le PS, en remettant en cause son unité et sa cohésion face à lui même et à l’opposition. La mise sur pied d’une Commission de Conciliation et de Vérité, dirigée par Cheikh Abdoul Khadre Cissokho, Président de l’Assemblée nationale, sera nécessaire pour aplanir les divergences et faire taire les querelles. Du reste, Abdou Diouf rappelait toujours dans le même discours que les investitures pour les élections de novembre 1996 ne doivent pas exacerber les frustrations des opérations de renouvellement mais, bien au contraire, veiller à les aplanir en ne considérant pas les «investitures comme

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la traduction mécanique des renouvellements qui sont internes au parti alors que les investitures doivent avoir une dimension extérieure et nationale».

La création du poste de Président du parti, secondé par un Secrétaire général chargé d’administrer le parti, participe également des réformes de taille initiées au sein du PS.

Articulés à la restructuration du Parti socialiste, il convient de dire que les enjeux des futures consultations électorales ont été perçus très tôt.

Quel a été le comportement des femmes de ce parti lors de tous ces remous ?

Les opérations de renouvellement ont été l'occasion pour les femmes de ce parti de donner la pleine mesure de leur importance.
L’événement qu’on a qualifié de «fronde de Dakar» a eu lieu chez les femmes plus précisément entre «la mère du parti» Adja Arame Diéne, Présidente sortante de l’Union régionale des Femmes de Dakar, et Mme Aïda Diongue, Présidente de l’Union départementale des Femmes de Dakar. Adja Arame Diéne assurait également l’intérim de la Présidente du Mouvement des Femmes socialistes depuis la disparition de feue Fatoumata Ka. Deux camps se sont formés avec chacun des soutiens au plus haut niveau des instances du parti. Et dans le cadre de ce conflit, il semblerait que les courants, animant le parti entre «refondation» et «renouveau», aient trouvé leur prolongement chez les femmes. Les querelles de tendance également n’épargnent pas les femmes à tous les niveaux du parti. En effet, d’après Abibatou Mbaye, Présidente de l’Union régionale des Femmes de Saint-Louis : «Généralement, ce sont les hommes qui sont chefs de tendance et qui entraînent les femmes dans leur sillage» [Sud Quotidien n° 1000, août 1996, page 6]. Mme Aïda Diongue, donnée pour majoritaire d’après ses partisans, bénéficierait du soutien de 20 présidentes de Coordinations et d’une présidente d’Union communale, sur les 28

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que compte la Région de Dakar. Dans ce bras de fer, elle a cependant dû s’incliner face aux directives du Président Diouf de céder la présidence de l’Union régionale à la «mère du parti» et de se contenter du poste de première adjointe.

Les femmes de la tendance de Aïda Diongue mécontentes s’étaient déplacées en masse dans les bureaux de Walfadjri [Groupe de presse privé] pour manifester leur désaccord aux yeux de l’opinion publique. Elles avaient même signé une lettre pétition adressée au Président Diouf, «une première dans l’histoire du parti socialiste» [Walf n° 1137, 28 décembre 1995, p. 4] pour marquer leur non adhésion aux directives jugées antidémocratiques. Il était impératif pour la direction du parti de trouver une solution à cet épineux problème pour ne pas se mettre à dos une frange de l’électorat féminin à l’approche de novembre 1996, d’autant plus que le souvenir de la défaite du Parti socialiste à Dakar aux élections de 1993 les hantait encore.

Aïda Diongue cédera également à Adja Arame Diéne le poste de Vice-présidente du Mouvement national des Femmes socialistes, dont la présidence sera confiée à Aminata Mbengue Ndiaye, Ministre de la Femme, de l’Enfant et de la Famille. Cette même fronde aurait pu se cristalliser à Kaolack, où Madame Mata Sy Diallo, donnée vainqueur pour être portée à la tête de l’Union régionale, sera «invitée à se ranger» et à laisser la place à Abdoulaye Diack.

Le combat des femmes ne fut pas toutefois vain même si les résultats ne marquèrent pas un tournant décisif dans leur quête d’une démocratie plus juste à leur égard. A l’issue des opérations de renouvellements, quelques femmes se sont distinguées en tant que responsables de Coordination dont notamment Léna Diagne Fall de la 3e Coordination, Aïda Diongue, Adja Rokhaya Siby et Mata Sy Diallo.

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Si nous avons particulièrement insisté sur ces remous au sein du Parti socialiste, c’est parce que ces événements, partie intégrante du processus électoral de novembre 1996, ont fortement émaillé la scène politique à cette époque.

Les autres partis se sont également mobilisés dans la mesure où ils avaient une claire conscience des enjeux des futures élections. Pour l’opposition, acquérir des positions de pouvoir au sein des mairies, communes et conseils régionaux était une donne politique non négligeable en vue des élections de 1998 et des élections présidentielles de l’an 2000, d’autant plus que pour beaucoup d’entre eux,il s’agit d’une première participation à des élections locales.

Par exemple, c’est en vue de ces élections que AJ /PADS, entre autres raisons, enregistre, pour la première fois de son histoire, une Conférence nationale des Femmes, même si le débat sur cette question avait été initié bien avant. Dans son discours d'ouverture lors de la conférence tenue en juillet 1996, le Secrétaire général du parti, Landing Savané, souligne «l’importance de cette conférence tenue à l’orée des élections locales de 1996 mais aussi en vue du «folli» à l’horizon 2000 afin d’instaurer une société d’émancipation ou les femmes s’épanouiront pleinement». La résolution Femmes et Pouvoir politique, adoptée lors de cette conférence, est très explicite :
«Considérant la participation majeure des femmes dans les luttes politiques et sociales et les actions déterminantes dans les grands moments de l’histoire de la démocratie au Sénégal,

Considérant l’enjeu des prochaines élections municipales et rurales en relation avec le processus de décentralisation et de régionalisation en cours comme une profonde modification dans la gestion du pouvoir;

Considérant l’oubli total et volontaire qui frappe leurs problèmes dès le lendemain des élections malgré l’insistante sollicitation dont elles font l’objet dans un but purement électoraliste,

Décide de saisir les prochaines élections municipales et rurales pour

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asseoir une forte participation des femmes à la gestion de la chose publique et dans les espaces de pouvoir,

Décide de combattre le monopole des hommes et d’éviter le système de quota pour ne pas déboucher sur des rôles de figuration,

Exige comme solution transitoire la représentation des femmes dans toutes les instances du parti et sur les listes électorales et en bonne position bien que la parité soit plus conforme à nos options politiques fondamentales,

Engage AJ/PADS à mettre la problématique féministe au cœur de son projet de société, de ses programmes électoraux, nationaux et locaux».
Comme nous pouvons le constater, cette résolution fait assez bien l’économie des préoccupations des femmes dans ce contexte pré-électoral autour principalement des problèmes liés à l’enjeu de ces élections locales, l’investiture des femmes sur les listes électorales et le problème de l’application des quotas.

Les femmes de la LD/MPT et de la CDP ont également tenu leurs assises dans cette période : au cours de ces différentes rencontres, il a beaucoup été question de l’investiture des femmes sur les listes électorales.

2.2- Femmes et investitures : enjeu de démocratie ou enjeu de pouvoir ?

L’investiture des femmes était au centre des préoccupations des organisations de femme aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des partis.

Le COSEF avait mené dans ce sens un programme spécifique de sensibilisation des leaders politiques pour l’investiture en masse des femmes sur les listes électorales. Ce programme d’appui à l’investiture des femmes aux élections de novembre 1996 s’est traduit par des rencontres avec les secrétaires généraux des partis politiques, la participation au forum de capacitation des femmes candidates organisé par le COFDEF à Thiés le 3 novembre 1996, et par la publication dans la presse quotidienne de slogans en faveur de l’investiture des femmes.

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Que pouvons nous constater à l’issue des investitures ?

Au PS, lors du congrès de juillet 1990, les femmes avaient fait adopter une résolution spéciale relative à l’adoption et l’application d’un quota de 25% en leur faveur pour les listes d’investiture aux élections et la présence dans les structures du parti.

Il faut rappeler que ce quota était initialement de 10% et que cette évolution a suivi les positions de l’Internationale socialiste des Femmes sur cette question spécifique. A l’issue des investitures, deux tiers des coordinations ont assuré le quota de 25%, d’autres l’ont porté à plus de 25%. La Communauté rurale de Ngéniéne a même assuré la parité. Par contre les coordinations de Linguère, de l’Union départementale de Matam, Kédougou, Ziguinchor Département n’ont investi aucune femme. La Commission de Supervision des Investitures (qui était en fait la Commission de Vérité et de Conciliation ) aurait même veillé à ce que le classement sur les listes proportionnelles obéissent au quota des 25%.

Au PDS, des femmes avaient été investies tête de liste comme Aminata Tall et Awa Diop aux municipales et régionales.

A la CDP, le quota de 40% initialement annoncé n’a pas toujours été respecté, mais les femmes ont pu bénéficier de bonnes positions, et à Dakar-Plateau, Mme Khady Guéne Fall, sœur de feue Mantoulaye Guéne, ancienne responsable socialiste et Ministre de la République, a été choisie tête de liste pour le contrôle de la mairie.

A AJ/PADS, les femmes avaient récusé le principe des quotas comme noté plus haut dans la résolution Femme et Pouvoir politique adoptée lors de leur toute première conférence nationale. Il y aura néanmoins quatre femmes tête de liste à Dakar et d’autres à l’intérieur du pays.

A la LD/MPT, les investitures se sont faites selon les réalités de chaque localité. Par exemple à Saint-Louis, Mme Aïda Mbaye était en tête sur la liste départementale.

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Au PIT, le principe du quota n’avait pas été retenu d’après la Présidente de l’Union démocratique des Femmes du Sénégal, instance des femmes de ce parti. La Présidente de l’UDFS est d’ailleurs tête de liste à la proportionnelle et est suivie d’une autre femme. La liste PIT de Mermoz est pour moitié composée de femmes. Elle a eu cependant à déplorer le fait qu’en cas de coalition entre partis, les femmes sont souvent perdantes comme cela a été constaté par exemple dans le cadre de la coalition PIT-PDS lors des consultations électorales de novembre 1996 [Source Soleil n° 7918, 24 octobre 1996, article signé Dié Maty Fall.]. Les élections de novembre 1996 ont permis de noter une réelle poussée des femmes. Le problème de leur place dans la composition des bureaux va également se poser, et dans une certaine mesure, répondre aux mêmes préoccupations électoralistes et manœuvres politiciennes. On note l’émergence de six femmes maires, deux présidentes de Conseil rural et une vice-présidente de Conseil régional, Mme Mata Sy Diallo [Son destin politique semble aujourd’hui inscrit au cœur de cette confrontation d’une logique de pouvoir et d’une logique démocratique ; la question de la succession au poste de Président du Conseil régional de Kaolack, laissé vacant par Abdoulaye Diack, désormais président du Sénat, ramène le cas Mata au cœur des questionnements relatifs au rapport des femmes à la politique.].

Il faut noter avec le GREF que dans l’ensemble, les femmes «représentent 14,46% des élus locaux». Cependant concernant la présidence de ces instances, ce taux connaît une chute vertigineuse, se retrouvant à 1,84%.

  1. Si nous prenons l’exemple du pourcentage des femmes au sein des conseils ruraux, on constate que sur un total de 9092 élus, 694 sont des femmes soit 7,64%.

  2. Si nous prenons pour même référence les conseillers ruraux, on se rend compte que seules 2 femmes sont présidentes de Conseil rural sur un total de 320 présidents de Conseil rural, soit 0,62% [GREF, décembre 1998, p. 52 et 53.].

Avec une réelle prise en compte de la dimension femme lors des investitures, le contexte politique en 1996 a semblé favorable aux femmes.

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On assisté à une véritable surenchère de la part des différents partis qui ont rivalisé de générosité en affichant leur volonté de promouvoir les femmes. Que faut-il en déduire ?

Un premier niveau de lecture de cette donnée électorale permet de dire que les partis ont gagné en maturité sur la question de la femme et qu’un processus apparemment irréversible de positionnement des femmes sur la scène politique s’est enclenché ; leurs voix sont désormais considérées mais aussi rendues audibles par elles mêmes et pour elles mêmes. Sommes-nous alors entrain d’assister au début de la fin de l’ère de l’instrumentalisation de l’électorat féminin ?

Ne faut-il pas simplement considérer la réalité électorale liée à la nature même de ces élections ? En effet n’y avait-il pas lieu d’être large et généreux à l’égard des candidates quand on sait qu’il fallait, pour ces élections, pourvoir plus de vingt mille postes sur toute l’étendue du territoire national. La tentation est grande de pousser la réflexion sur le terrain du cynisme pour dire «qu’il y avait de la place même pour les enfants».

Malgré une circulaire du Secrétaire général demandant l’application du quota de 25% sur les listes d’investitures, cette disposition n’a pas été adoptée par toutes les coordinations du PS. Le Bureau politique, qui était censé rejeter les listes rebelles aux directives, n’a pas été systématique dans la traduction effective de cette disposition dans les faits.

Il faut, dans cet ordre d’idées, convenir que l’application d’une politique volontariste de promotion des femmes, par la prise en compte des quotas ou de la parité, a largement été tributaire des calculs relatifs à des préoccupations électoralistes. L’application des quotas n’a pas résisté aux exigences de la «realpolitik», car objectivement un parti prend part à des élections dans le but de les remporter et pour cela met tous les atouts de son côté, aussi bien du point de vue des moyens que des ressources humaines. Par conséquent, il s’agit d’investir dans ce sens des porteurs de voix. Le point de vue de Mme

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Aminata Mbengue Ndiaye, répondant à une question relative aux investitures dans son parti, le PS, dans le cadre d’une interview accordée à Nouvel Horizon, est assez significatif : «Les listes que nous allons investir seront d’abord pour assurer la victoire. C’est après qu’on verra qui mettre à la tête des régions et des communautés» [No 3 du mois d’octobre 1996,p10]. Logique de pouvoir qui impose elle-même sa propre légitimité, différente bien entendu de celle de la logique démocratique, qui regarde du côté des ambitions universalistes et de la justice citoyenne. Deux logiques appelées à s’entrechoquer et à cohabiter, et dont la prise en compte est fondamentale dans le combat des femmes.

Si les femmes peuvent s’accorder à la logique de pouvoir qui informe l’action de leurs partis respectifs, elles entendent aujourd’hui que priorité soit donnée à la logique démocratique. Leur combat désormais se fonde sur la connexion de ces deux logiques, et c’est sans doute ce qui explique qu’un mouvement transpartisan comme le COSEF puisse exister. L’engagement du COSEF dans le processus électoral ne peut se comprendre que dans cette optique.


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