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PREROGATIVES ET LIMITES SYNDICALES



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CHAPITRE I : LES PREROGATIVES SYNDICALES

Ces prérogatives sont nombreuses. Mais, en schématisant, nous aborderons ces droits du syndicat à travers simplement le droit à la négociation collective et à la revendication professionnelle (I), d'une part et, d'autre part, celui de la participation à la mission des délégués du personnel (II). Il ne serait pas superflu enfin de dire un mot sur la question de la représentativité syndicale (III).

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I- LE DROIT A LA NEGOCIATION COLLECTIVE ET A LA REVENDICATION PROFESSIONNELLE



1. Droit à la négociation collective

a) Signification de la négociation collective

Nous pensons que la négociation collective n'est rien d'autre qu'un processus décisionnel. Elle a pour objet la fixation concertée d'un ensemble de règles professionnelles tenant aussi bien à la forme qu'au fond des relations de travail. Elle est l'œuvre des syndicats.

Lorsque ces tractations aboutissent, elles donnent naissance à ce que l'on appelle la convention collective définie par l'article L-80 du code du travail. Ainsi donc, la convention collective est la résultante de la négociation collective.

Le législateur sénégalais a toujours accordé une place de premier plan au droit à la négociation collective. Il fait écho à la convention 98 de l'O.I.T. ainsi qu'à l'article 20 de notre constitution qui prône le principe de la participation et de la collaboration des travailleurs.

Il faut souligner l'évolution décisive marquée par la loi n° 97-17 portant nouveau code du travail. Cette évolution consacre une accentuation de la négociation collective.

b) L'accentuation de la négociation collective à travers le nouveau code du travail

Déjà, dans l'exposé des motifs de la loi, le législateur précise que

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l'orientation du code est marquée par une affirmation plus nette de la négociation collective dans le cadre de la promotion du dialogue social.

L'une des principales innovations du code aura été en effet l'instauration de nouvelles formes de concertations. Il s'agit de concertations sectorielles au sein des entreprises qui donnent une base juridique à l'élaboration de conventions collectives couvrant plusieurs branches d'activité.

Un nouveau mécanisme instauré par le législateur a consisté à élargir le domaine des accords collectifs. L'article L-92 dispose en effet : «Des accords concernant une entreprise, un ou plusieurs établissements déterminés, peuvent être conclus entre, d'une part, un employeur ou un groupement d'employeurs, et, d'autre part, les délégués du personnel et les représentants des syndicats les plus représentatifs du personnel de l'entreprise, du ou des établissements intéressés et y étant effectivement employés ».

Avec cette nouvelle option, le législateur met en avant la négociation entre les partenaires sociaux. Il donne plus de chance encore à l'amélioration des conditions de travail. Il favorise une plus grande prise en considération des spécificités de l'entreprise.

Mais doit-on conclure, ainsi que certains l'ont déjà affirmé, que c'est parce qu'il a été constaté un certain essoufflement de la négociation collective ?

c) Approche dynamique de la négociation collective

De toutes façons, une approche à la fois statistique et dynamique de la négociation collective permet d'affirmer que la période d'avant l'indépendance fut plus florissante. Avant l'indépendance, le dynamisme des syndicats était réel au plan de la négociation collective.

  • Avant l'indépendance

Les conventions collectives couvraient un champ très vaste de secteurs d'activités.

La convention fédérale AOF du 26-12-1945 englobait les B.T.P., l'industrie et les transports.

Une convention de 1938 applicable au Sénégal couvrait les employés de l'industrie, du commerce, des banques, des assurances et du notariat (EMCIBAN).

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Un peu plus tard, on allait assister à un double processus de diversification-centralisation. C'est l'apparition de conventions nouvelles limitées chacune à une branche d'activités déterminée couvrant à l'intérieur de cette branche tous les travailleurs cohabitant avec les anciennes conventions non formellement dénoncées. Ce processus s'est déroulé à l'échelle fédérale à partir de 1956.

Dans le même temps, les barèmes de salaire complétant les conventions fédérales sont appliqués après 1956.

Avec la fin des années 50, le territoire de l'A.O.F. est quadrillé par un réseau très dense de conventions collectives (C.C.) :

  • C.C. des B.T.P de1956 ;
  • C.C. du commerce de1956 ;
  • C.C. des transports de1956 ;
  • C.C. de la mécanique générale de1957 ;
  • C.C. des banques de1958 ;
  • C.C. des corps gras de1958 ;
  • C.C. des industries chimiques de1958 ;
  • C.C. des industries alimentaires de 1958.

Ces conventions collectives sont restées en vigueur après l'indépendance, comme c'est le cas pour la plupart dans certains pays africains.

  • Après l'indépendance

A partir de 1960, le nombre des conventions collectives a commencé à se restreindre. On peut relever cependant :

  • C.C. des industries polygraphiques de1960 ;
  • C.C. des industries hôtelières de1960 ;
  • C.C. de la confection de1963 ;
  • C.C. du personnel des assemblées consulaires de1964 ;
  • C.C. des journalistes et techniciens de la communication de 1973.

En règle générale, ces conventions collectives ont fait l'objet d'extension, pour être applicables à toutes les entreprises des branches d'activités concernées. Le résultat, c'est qu'aujourd'hui, au Sénégal, la quasi-totalité des travailleurs sont couverts par une convention collective, à l'exception toutefois des ouvriers agricoles et des employés de maison

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notamment qui restent régis par des textes réglementaires.

Ainsi donc, le dynamisme de la négociation collective était plus remarquable avant l'indépendance.

Cette situation semble paradoxale puisque, légitimement, on aurait dû s'attendre à son accentuation face à l'intensification et à la diversification des progrès technologiques et leurs conséquences, le bouleversement des méthodes de production ainsi que la naissance et le développement rapides de nouvelles formes de travail.

Le syndicalisme de revendication aurait-il pris le dessus sur le syndicalisme de proposition ?

2. Le droit à la revendication professionnelle

Ce droit s’exerce de plusieurs manières. Mais il se manifeste généralement à travers l'expression libre des travailleurs en vue de satisfaire des exigences professionnelles et surtout à travers la grève.

a) La liberté d'expression du syndicat

La liberté d'expression des représentants syndicaux va de pair avec la liberté syndicale. Ce droit d'expression est d'ailleurs consacré par le nouveau code du travail à travers l'article L-5 du code du travail qui dispose : « Dans les entreprises, les travailleurs et leurs représentants bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation du travail ».

L'alinéa 2 du même article précise l'objet de ce droit d'expression qui est de «…permettre au travailleur de participer à la définition des actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l'organisation du travail, la qualité de la production et l'amélioration de la productivité dans l'unité de travail à laquelle ils appartiennent dans l'entreprise ».

De plus, ce droit d'expression est protégé par l'alinéa 3 qui indique : « Les opinions que les travailleurs, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement ».

Enfin, l'alinéa 5 prévoit : « Des mesures appropriées pourront également être prises par décret pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation au sein de l'entreprise. Ces mesures pourront aussi être

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prises par accord au sein de l'entreprise ».

Par conséquent, ce droit d'expression est destiné aussi bien au travailleur pris individuellement qu'aux syndicats.

b) La revendication professionnelle par la grève

La grève n'est pas définie par la loi. Mais on peut dire que c'est un arrêt de travail concerté et collectif de la part des travailleurs pour obtenir la satisfaction de revendications professionnelles.

Le droit de grève a été fortement remanié concomitamment au bouleversement des procédures de règlement des différends collectifs de travail.

La loi n° 61-34 avait en effet prévu plusieurs phases dans le règlement des conflits de travail : la conciliation, l'arbitrage, le recours à un conseil d'arbitrage. Ces différentes étapes procédurales avaient pour objet d'éviter le déclenchement des grèves.

Aujourd'hui, la loi n° 97-17 semble favoriser plutôt un recours plus facile à la grève comme mode de règlement des conflits. En effet, seule la tentative de conciliation devant l'Inspecteur du Travail, lorsque le conflit est limité au ressort d'une inspection régionale, devant le directeur général du travail, lorsqu'il s'étend sur les ressorts de plusieurs régions, reste maintenue.

Une telle procédure est écartée au profit de celle prévue par la convention collective lorsqu'elle existe. En effet, la grève s’emploie en son absence ou en cas d'échec de celle-ci.

L'Inspecteur du Travail ou le directeur général du travail convoque les parties dans les 48 heures suivant sa saisine. Dans les 10 jours suivant cette convocation, si une conciliation n'est pas trouvée, « le lock-out ou la grève déclenchée après un préavis de 30 jours déposé au niveau des syndicats des employeurs ou des travailleurs concernés est licite », article L-273.

Cette procédure nouvelle recèle plusieurs insuffisances à notre avis.

La première réside dans la conception étriquée du différend collectif de travail. Le législateur semble avoir réduit l'ensemble des différends collectifs à la question de la grève.

Or, la grève ne doit être considérée que comme un résultat de l'échec du règlement du différend collectif.

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Ce souci est né certainement d’une réaction aux critiques faites à l'ancienne procédure à laquelle on reprochait d'anéantir le droit de grève en raison de sa complexité et de sa lourdeur.

Une deuxième insuffisance se trouve être le vide créé par l'absence de recours à toute autre instance de règlement du différend dès lors que la conciliation échoue.

Par ailleurs, le législateur semble donner un monopole aux syndicats pour le déclenchement de la grève, ce qui ne coïnciderait pas avec le droit positif.

Il s'y ajoute que le préavis est déposé uniquement au niveau des syndicats sans aucune précision sur la forme du dépôt et les motifs de la grève…

Nous pensons que le préavis doit être déposé auprès de l'employeur ou des employeurs concernés.

Mais surtout, il faut espérer que dans un avenir proche la procédure ainsi instituée puisse laisser place également à d'autres mécanismes de «règlement pacifique» des différends du travail sans que ceux-ci ne remettent en cause le droit de grève.

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II- ROLE DU SYNDICAT DANS LA MISSION DU DELEGUE DU PERSONNEL

C'est un rôle de participation à la désignation des délégués du personnel et d'assistance dans l'exercice de leur mission.

1. Participation à la désignation des délégués du personnel

L'élection de délégués du personnel est obligatoire dans tous les établissements

ou sont groupés plus de 10 travailleurs au sens de l'article 1er du code du travail, en vertu de l'article 1er alinéa 1er décret n° 67-1360 du 09 décembre 1967 fixant les conditions et les modalités de désignation des délégués du personnel dans les entreprises et définissant leur mission, Journal Officiel du Sénégal n° 3932 du 23 décembre 1967, page 1754.

De même, tous les 3 ans, dans le mois qui précède l'expiration du mandat des délégués en exercice, l'élection doit avoir lieu dans l'établissement.

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Le chef d'entreprise doit impérativement informer les «organisations syndicales intéressées » de son intention de procéder aux dites élections.

La lettre qui leur est adressée en même temps qu'à l'Inspecteur du Travail et de la Sécurité Sociale du ressort doit contenir une proposition de date, de lieu, des heures d'ouverture et de fermeture du scrutin. Elle fait également l'objet d'une invitation adressée aux organisations syndicales, c'est-à-dire les organisations syndicales de base et non les centrales ou les unions, à établir leurs listes de candidats.

On peut donc dire que les syndicats, lorsqu'ils sont représentés dans l'entreprise, ont un monopole dans la présentation des listes de candidats délégués du personnel.

Faute de syndicats représentés ou en cas de carence des syndicats à présenter des listes, les candidatures indépendantes seront admises après procès-verbal de carence établi par l'Inspecteur du Travail à la demande du chef d'établissement. Il revient alors à l'Inspecteur du Travail d'autoriser l'organisation des élections sur la base de candidatures indépendantes.

Par ailleurs, l'organisation syndicale peut aussi procéder à la destitution du délégué proposé sur sa liste. La révocation se fera par le procédé d'un scrutin secret à la majorité des membres de son collège électoral. Voir dans ce sens Tribunal du travail de Dakar, jugement du 15 juillet 1982 (T.P.O.M. n° 586 du 16 septembre 1983).

Enfin, les syndicats ont le droit de saisir le tribunal du travail aux fins de contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité ainsi qu'à la régularité des opérations électorales.

Il est heureux de constater que, désormais, c'est le tribunal du travail qui, en vertu de l'article L-212, « statue d'urgence et en dernier ressort », contrairement à la compétence du tribunal départemental de l'ancien code du travail.

2. L'assistance apportée aux délégués dans le cadre de leur mission

Les délégués du personnel ont pour missions :

  • de présenter des réclamations aux employeurs ;
  • d'intervenir auprès de l'Inspecteur du Travail et de la Sécurité Sociale pour la satisfaction de toutes les réclamations relatives à l'application

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    des prescriptions légales ;

  • de veiller au respect des règles d'hygiène et de sécurité du travail ainsi qu'à celles de sécurité sociale et de proposer toutes les mesures utiles dans ces domaines ;
  • de participer à la gestion de l'établissement par le biais des suggestions pour l'amélioration de l'organisation et du rendement de l'entreprise, et de faire part de leurs avis et suggestions à propos des mesures de licenciement de délégué du personnel.

Ils interviennent, par avis et assistance, sur le règlement intérieur, l'avancement, le dossier du travailleur, certaines mutations, la discipline, les commissions de classement etc.

Ces missions sont nombreuses. Le délégué du personnel peut et doit être assisté également en cas de besoin par un représentant syndical.

L'article 23 du décret n° 67-1360 indique : « Les délégués du personnel peuvent, sur leur demande et après rendez-vous fixé par la direction, se faire assister par un représentant de l'organisation syndicale qui a présenté la liste s'il en existe ».

L'assistance syndicale doit donc être sollicitée par le ou les délégués.

Toutefois, l'article 70 de la C.C.N.I. a remis en cause le préalable du rendez-vous obligatoire. Mais il serait préférable que le rendez-vous soit fixé non pas seulement pour éviter une perturbation dans l'entreprise mais pour une meilleure efficacité des réunions tenues.

Le représentant syndical va jouer un double rôle : celui d'assistance et celui de conseil. Il doit pouvoir s'exprimer, intervenir et intercéder, donner son avis au cours de la réunion.

Le refus de l'employeur de l'accès dans l'entreprise à des permanents syndicaux régulièrement habilités aux fins d'assistance des délégués serait constitutif d'une entrave au libre exercice des fonctions de délégué du personnel.

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III- LA QUESTION DE LA REPRESENTATIVITE SYNDICALE

Le problème de la représentativité syndicale est au cœur des questions syndicales. Elle revêt une importance capitale tant pour les syndicats eux- mêmes que pour les pouvoirs publics.

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Il nous faut comprendre la notion et l'objet d'une part et, d'autre part, évoquer la décision appréciant la représentativité et l'autorité habilitée à cet effet.

1. Notion et objet de la représentativité syndicale

La notion de syndicat le plus représentatif est apparue après la première guerre mondiale avec le traité de Versailles qui a mis en place l'O.I.T.

Elle devait servir de critère de désignation des délégués de travailleurs et d'employeurs à la conférence internationale du travail. Il était dit que ces délégués devaient être désignés par les gouvernements en accord avec les organisations professionnelles les plus représentatives.

C'est ainsi que la notion a été reprise par les législations internes. Elle figure dans l'article L-85 du code du travail comme elle l'a été dans l'ancien code.

Mais le législateur n’en donne toutefois aucune définition. Il ne dégage que des critères d'appréciation de la représentativité. L'alinéa 5 de l'article L-85 indique:« Les éléments d'appréciation comprendront notamment :

  • les effectifs et les résultats des élections des délégués du personnel ;
  • l'indépendance ;
  • les cotisations ;
  • l'expérience du syndicat, l'étendue et la nature de son activité. . . ».

Que signifient ces éléments qui ne sont ni limitatifs ni exclusifs ?

Ils ne sont pas limitatifs en ce sens que l'utilisation de l'adverbe "notamment" doit faire comprendre que l'autorité habilitée pourrait mettre en œuvre d'autres critères en plus.

Ils ne sont pas exclusifs entre eux en ce qu'il s'agit de critères pouvant être cumulés.

A notre avis, il y a lieu aussi de préciser que l'énumération n'est pas établie en termes de hiérarchie. Il s'agirait d'éléments d'égale importance.

L'indépendance doit être comprise par rapport aux relations du syndicat avec les pouvoirs publics, les employeurs, les autres syndicats et toute force susceptible de remettre en cause les buts poursuivis légalement par le syndicat.

Les cotisations sont appréciées en fonction du nombre des membres

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qui cotisent mais aussi des versements effectivement réalisés.

L'expérience du syndicat aura trait par exemple à ses activités scientifiques, économiques et sociales, au nombre et à la qualité des études et consultations menées.

La détermination du syndicat le plus représentatif présente un intérêt certain face au principe de l'égalité des syndicats. La raison en est que toutes les organisations syndicales ne peuvent pas en même temps exercer de maniere egalitaire les prérogatives qui leur sont dévolues par la loi, notamment dans le cadre de la négociation collective et de la participation au fonctionnement des institutions de sécurité sociale.

L'existence d'une pluralité d'organisations syndicales les plus représentatives pourrait instaurer une sorte de «démocratie syndicale» en ce qu'elle évite que le syndicat majoritaire n’arrive à monopoliser l'activité syndicale pour aboutir à une sorte de représentation proportionnelle.

2. L'autorité compétente pour déterminer la représentativité

C'est le Ministre chargé du Travail. L'alinéa 4 de l'article L-85 dispose: «Le caractère représentatif d'un syndicat ou d'un groupement professionnel est déterminé par le Ministre chargé du travail qui réunira tous les éléments d'appréciation après avis de l'Inspection du Travail et de la Sécurité Sociale du ressort».

Le Ministre doit présenter un dossier comportant l'ensemble des éléments d'appréciation requis. A cet effet, il dispose d'un pouvoir d'enquête lui permettant d'exiger du syndicat les renseignements pouvant justifier son caractère représentatif.

Il pourrait revenir aux inspecteurs régionaux de vérifier les registres d'inscription des adhérents ainsi que la trésorerie du syndicat. Les dirigeants syndicaux doivent faire en sorte que le travail des inspecteurs se déroule convenablement.

En pratique, le travail opérationnel doit être réalisé par les inspecteurs régionaux.

Présentement, une enquête de représentativité des syndicats est lancée par le Ministre chargé du Travail à travers des équipes coordonnées par les Inspecteurs du Travail et de la Sécurité Sociale.

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Certains syndicats ont mis en cause la décision, le caractère fiable des modalités d'enquête. D'autres estiment préférable l'organisation d' « élections générales » dans les entreprises. Mais de telles élections ne seraient pas conformes aux critères dégagés par l'article L-85.

En tout état de cause, la décision ministérielle est attaquable au moyen du recours pour excès de pouvoir.

3. Une possibilité d’ouverture directe du contentieux contre les décisions ministérielles sur la représentativité

Le caractère représentatif ou non d'un syndicat ou d'un groupement professionnel est donc déterminé par le Ministre chargé du Travail.

A propos du recours contre la décision ministérielle, l'article 84 de l'ancien code disposait uniquement : «La décision du Ministre est susceptible, le cas échéant, de recours dans un délai de quinze jours (15) devant le Chef du gouvernement».

Seul le recours hiérarchique était mentionné. Mais il va sans dire que le recours pour excès de pouvoir contre une décision expresse émise par le Chef du gouvernement ou après constatation d'une décision implicite était possible. C'est parce que le recours pour excès de pouvoir reste toujours ouvert, même sans texte.

L'article L-85 prévoit quant à lui la possibilité d'une ouverture directe du contentieux à travers son alinéa 6 qui indique : «la décision du Ministre est susceptible de recours devant le conseil d'Etat». Il s'agit bien entendu du recours pour excès de pouvoir, la décision du ministre étant un acte administratif.

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CHAPITRE II : L'EFFECTIVITE DU DROIT SYNDICAL

Il s'agit ici d'aborder le problème des limites apportées au droit syndical d'un côté (I), et, de l'autre, d'analyser le rôle des juridictions dans le respect et la sauvegarde du droit syndical (II).

I- LIMITES DU DROIT SYNDICAL

Il existe des atteintes expresses apportées au droit syndical en même temps que, pensons-nous, des limites tenant aux pouvoirs d'autres

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acteurs du champ professionnel.

1. Les atteintes expresses au droit syndical

Quelles sont les causes de telles atteintes et quelles sont les professions concernées ?

a) Les causes

En apportant des restrictions au droit de certains travailleurs et fonctionnaires, les pouvoirs publics entendent probablement se prémunir contre les actions susceptibles de remettre en cause l'ordre public, le bon fonctionnement des services publics essentiels de l'Etat. Autrement dit, le but recherché est que l'action syndicale ne puisse porter atteinte à l'intérêt public.

Il s'agit là d'un objectif qui se justifie mais qui reste souvent critiqué.

Le problème est qu'il est question de concilier deux intérêts apparemment contradictoires. Celui du droit pour chaque travailleur et fonctionnaire de se syndiquer, ce qui est un droit constitutionnel, et la nécessité d'assurer le bon fonctionnement et la continuité des services publics que l'action syndicale pourrait remettre en cause, notamment par le biais de la grève.

Toute solution peut apparaître arbitraire. Ainsi, d'un pays à un autre, ces solutions ont différé. Le législateur sénégalais a interdit à certaines catégories de fonctionnaires toute forme de concertations en vue de cesser le travail. Ce qui signifie que le droit de grève n'existe pas au profit de ces fonctionnaires et que, par conséquent, si le droit syndical n'est pas expressément interdit, tout regroupement en vue de cesser le travail est prohibé. D'ailleurs, l'interdiction du droit syndical est expressément établi pour quelques catégories de fonctionnaires.

C'est ce qui justifie que dans les grands corps de l'Etat, les fonctionnaires se regroupent dans des associations appelées « Amicales » pour défendre des intérêts professionnels.

b) Professions concernées

Ce sont tout d'abord les articles 7 et 99 du Statut général des fonctionnaires qui prévoient la possibilité de déroger, dans le cadre des statuts particuliers, à certaines dispositions du droit commun qui seraient

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incompatibles avec les nécessités propres aux fonctions en cause. Mais de manière plus spécifique, s'agissant des fonctionnaires soumis à des lois spéciales, l'interdiction doit provenir desdites lois.

Plusieurs fonctionnaires sont ainsi concernés.

  • Personnel des parcs nationaux

Le personnel des parcs nationaux, de tout grade, en activité de service, en position de détachement ou en disponibilité. Cette interdiction découle de l'article 4 de la loi n° 79-33 du 24 janvier 1979 portant statut particulier du personnel des parcs nationaux.

L'article 4 dispose en effet que ce personnel «. . . ne jouit ni du droit de grève, ni du droit syndical ».

  • Personnel du chiffre

Personnel du chiffre de tout grade, en activité de service, en position de détachement ou de disponibilité, en vertu de l'article 5 de la loi n° 83-03 du 28 janvier 1983 portant statut spécial du personnel du chiffre.

Cet article 5 indique que « Le personnel du chiffre de tout grade en activité de service ou en position de détachement ou de disponibilité est soumis en permanence aux règles suivantes :

  • Il n'est ni électeur, ni éligible et ne peut adhérer à un parti politique
  • Il ne jouit ni du droit de grève, ni du droit syndical . . .».
  • Personnel du service national d'hygiène

Personnel du service national d'hygiène, de tout grade, en activité, en position de détachement ou de disponibilité. L'article 8 de le loi n° 81-12 du 04 mars 1981 fixant le statut du personnel du Service d'hygiène prévoit : «Ils ne jouissent ni du droit de grève, ni du droit syndical ».

  • Fonctionnaires des parcs nationaux

Fonctionnaires des parcs nationaux, en activité de service, en position de détachement ou de disponibilité, en vertu de l'article 4 de la loi n° 79-33 du 24 janvier 1979 portant statut particulier du personnel des parcs nationaux : ce personnel n'est ni électeur, ni éligible et «il ne jouit ni du droit de grève, ni du droit syndical ». C'est ce qu'indique la partie n° 2 de l'article 4 de la loi n° 79-33.

  • Membres des forces de polices

L'article 8 de la loi n° 78-04 du 29 janvier dispose ainsi qu'il suit: « Les

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membres des forces de police de tout grade, en activité de service ou en position de détachement ou de disponibilité, sont soumis en permanence aux règles suivantes:

  • Ils ne sont ni électeurs, ni éligibles
  • Ils ne jouissent ni du droit de grève, ni du droit syndical…».


  • Personnel des douanes

L'article 8 de la loi n° 69-64 du 30 octobre 1969 prévoit la même interdiction et avec des termes identiques.

  • Inspecteurs Généraux d'Etat

Loi n° 87-18 du 3 août 1987 portant statut des Inspecteurs Généraux d'Etat, article 10. Toutefois, cet article indique uniquement ce qui suit : «Le droit de grève n'est pas reconnu aux Inspecteurs Généraux d'Etat. Tout fait de grève peut entraîner des sanctions disciplinaires ».

  • Magistrats

Article 10 de la loi n° 84-21 du 02 février 1984 portant statut de la Magistrature. «Les magistrats, même en position de détachement, n'ont pas le droit d'adhérer à un parti politique et toute manifestation leur est interdite. Ils ne peuvent ni se constituer en syndicat, ni exercer le droit de grève ».

  • Administrateurs civils

Décret n° 77-880 du 10 octobre 1977 portant statut particulier du cadre des fonctionnaires de l'Administration générale.

L'article 10 du décret n° 77-880 n'interdit pas expressément le droit syndical mais remet en cause une des actions importantes dans l'exercice du droit syndical, c'est-à-dire la cessation concertée du travail.

Cet article indique en effet : «En application de l'article 99 du Statut général des fonctionnaires et en raison du caractère particulier des fonctions qui leur sont dévolues. . ., les administrateurs civils peuvent être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires pour toute cessation concertée du service ou tout acte collectif d'indiscipline ».

De telles limites expressément prévues par la législation et la réglementation vont cohabiter avec celles tenant aux prérogatives accordées à d'autres acteurs du champ professionnel.

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2. Limites du droit syndical tenant aux prérogatives de certains acteurs du champ professionnel

a) La réquisition

- Signification

Le droit à la réquisition est une prérogative reconnue à l'administration de procéder, en cas de besoin, à la réquisition de travailleurs d'entreprises privées ainsi que d’établissements publics assurant des missions indispensables à la continuité et au maintien de l'ordre public, à la sécurité des biens et des personnes ainsi qu'à la satisfaction de tout besoin d'intérêt public.

La loi permet ainsi à l'autorité de détenir dans l'intérêt général un pouvoir essentiel qui apparaît comme une "sortie de secours" lorsque les voies de règlement prévues dans le cadre notamment des différends collectifs de travail n'ont pas abouti aux solutions recherchées.

Ce droit de réquisition est prévue par l'article 7 du Statut général des fonctionnaires ainsi que l'article L-276 du code du travail. Mais c'est le décret n° 72-017 du 11 janvier 1972 qui énumère la liste des postes, emplois et fonctions concernés.

L'article L-276 dispose du code du travail : « L'autorité administrative compétente peut, à tout moment, procéder à la réquisition de ceux des travailleurs des entreprises privées et des services et établissements publics qui occupent des emplois indispensables à la continuité des services publics, ou à la satisfaction des besoins essentiels de la nation ».

- Modalités de la réquisition

Les conditions et les modalités de la réquisition sont fixées par l'autorité compétente en fonction des travailleurs qui occupent les emplois figurant sur la liste prévue par le décret.

La notification est faite en règle générale à la personne par ordre de service signé soit par l'autorité administrative compétente, soit par l'employeur ou son représentant.

Toutefois, la notification ou l'information peut être faite :

  • par une publication au Journal Officiel ;
  • par une diffusion radiophonique ;

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  • par affichage sur les lieux de travail.

Dans tous les cas, le décret pourra requérir collectivement et anonymement les travailleurs occupant tout ou partie des emplois prévus par le décret n° 72-017 du 11 janvier 1972.

-Domaine de la réquisition

Le domaine de la réquisition couvre des emplois publics des établissements publics, des sociétés d'économie mixte et des entreprises privées.

-Les emplois publics

Les emplois publics concernent l'administration générale et les collectivités locales.

-Etablissements publics et sociétés d'économie mixte

Etablissements publics et sociétés d'économie mixte qui ont été énumérés : Société Nationale des Télécommunications, Société Nationale des Chemins de fer, Société Nationale de la Poste, Société Nationale du Port Autonome de Dakar, Société Nationale des Transports en commun du Cap-Vert, Office des Habitations à Loyer Modéré, Société Immobilière du Cap-Vert, Radio -Télévision Sénégalaise, Université Cheikh Anta DIOP de Dakar.

-Secteur privé

Secteur privé : production d'énergie (raffinage et électricité), production d'eau, sucreries et meuneries, ateliers et chantiers maritimes, transports aériens, extraction minière, sociétés de distribution de pétrole, sociétés de nettoiement.

Le champ d'intervention de la réquisition est vaste. Il semble même quasiment illimité . C'est pourquoi d'ailleurs des critiques ont souvent été adressées à cette prérogative administrative. La principale est que le droit de réquisition, eu égard à son domaine très étendu ainsi qu'à la facilité avec laquelle l'autorité administrative peut procéder à son déclenchement, est susceptible de contribuer à anéantir le droit syndical et en particulier le droit de grève.

Cette critique est probablement fondée. Mais il revient à l'autorité administrative d'user du droit de la réquisition au mieux des intérêts en présence : l'intérêt public et l'intérêt des travailleurs et employeurs. Il

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s'agit de deux intérêts pouvant être contradictoires mais l'autorité compétente doit se trouver dans l'obligation de les concilier.

Une autre situation limitant la portée des actions syndicales est le pouvoir de l'employeur de décider du lock-out.

b) Le lock-out décidé par l'employeur

La loi, le code du travail, ne donne aucune définition de la notion de lock-out. L'article L-273 alinéa 4 se borne à l'invoquer en disposant : «Dès lors que la conciliation n'a pas été constaté dans ce délai, le lock-out ou la grève déclenchée après un préavis de 30 jours déposé au niveau des syndicats des employeurs ou des travailleurs concernés est licite ».

C'est surtout la doctrine qui a tenté de donner des définitions. On peut retenir simplement que le lock-out est la décision prise par un employeur de fermer provisoirement son entreprise.

Ce sont les causes, nous allions dire les mobiles, de la décision de l'employeur qui sont intéressantes à étudier. Elles constituent, de l'avis des auteurs, les éléments fondamentaux pouvant permettre d'apprécier le caractère licite ou non du lock-out.

Après l'échec d'une tentative de conciliation relative à un différend collectif de travail, l'employeur est fondé à décider du lock-out. Mais ne serait pas licite le lock-out décidé pour prévenir ou anéantir une action syndicale déclenchée conformément à la législation. Ce lock-out, appelé par les auteurs lock-out de riposte, qui cherche à porter atteinte à l'exercice d'un droit régulier comme le droit syndical, n'est pas admis.

Par contre, le lock-out de riposte contre des actes prohibés dans le cadre de l'exercice du droit syndical peut constituer une décision licite, acceptable. Tel serait le cas par exemple lorsque l'employeur fait face à une occupation des lieux de travail ou de leurs abords immédiats, actes prohibés expressément par l'alinéa 4 de l'article L-276 du code du travail.

Dans tous les cas, l'appréciation du caractère licite ou non de la décision de l'employeur est du ressort du juge.

Ce dernier est appelé à jouer un rôle décisif pour l'effectivité du droit syndical et sa conciliation avec les intérêts également essentiels de l'entreprise.

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II- LE RÔLE DES JURIDICTIONS

L'action du juge est incontestablement la clé de voûte de l'effectivité du droit syndical. C'est pourquoi le développement de la jurisprudence française a abouti à quelques principes directeurs auxquels nous nous référons, faute d'une jurisprudence sénégalaise pouvant servir d'analyse.

Il ne s'agira pas de faire une étude très détaillée mais seulement de montrer quelques axes essentiels du rôle joué par les juridictions.

1. L'action du juge : clé de voûte de l'effectivité du droit syndical

Le degré d'effectivité du droit syndical ou le "degré de garantie" des libertés syndicales est fonction du comportement du juge, de son audace et de ses "talents d'équilibriste". Il lui revient de trouver le juste milieu entre la nécessité d'assurer un exercice réel des libertés syndicales et la sauvegarde des intérêts de l'entreprise, de l'employeur, voire de la profession en cause.

Ce travail de conciliation entre des intérêts pouvant apparaître manifestement contradictoires est d'autant plus difficile que le juge est appelé à se prononcer sur la base de règles multiples, complexes et imbriquées les unes dans les autres.

Les juridictions sénégalaises n'offrent pas beaucoup d'exemples de décisions permettant de dégager les lignes directrices de l'action du juge. Les causes sont certainement nombreuses. Mais une raison essentielle est que le juge est très rarement saisi des questions syndicales. La voie de règlement est moins juridictionnelle que sociologique.

Les modes de règlement étant politico-religieux ou fondés sur les rapports de force, le juge est très rarement saisi.

Mais face au bouillonnement de l'activité syndicale et à l'organisation de plus en plus poussée des syndicats, il est possible que, dans un avenir relativement proche, les juridictions soient appelées à jouer un rôle plus important.

Ailleurs, en France, le juge a par contre élaboré une politique jurisprudentielle apte à servir de référence au juge sénégalais.

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2. De quelques principes directeurs de la jurisprudence des libertés syndicales

Les libertés syndicales doivent être absolues en principe sauf exception.

a) Le caractère absolu des libertés syndicales

L'exercice de la liberté syndicale doit être réalisé dans sa plénitude. C'est pourquoi le juge français n'admet aucune décision susceptible de constituer une entrave, ni dans le dossier du travailleur, ni en termes de mesure disciplinaire.

- Liberté syndicale et dossier du travailleur

La liberté syndicale comme la liberté d'opinion sont garanties aussi bien aux fonctionnaires qu'aux travailleurs des entreprises privées. Interdiction est faite notamment de faire état dans son dossier, de même que dans tout autre document administratif, « des opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé ».

Tel est par exemple le considérant de principe du très célèbre arrêt Barel du Conseil d'Etat français, arrêt d'Assemblée, 28 mai 1954.

Dans cette affaire, M. Barel s'est vu interdire l'accès au concours de l'Ecole Nationale d'Administration française, motif pris de ce qu'il était soupçonné d'avoir des activités et opinions communistes.

Le Conseil d'Etat saisi a estimé que la décision du gouvernement porte atteinte au principe de l'égal accès des fonctionnaires et de tous les citoyens aux emplois publics, ce qui est inadmissible.

Cet arrêt annulant une décision prise en matière politique vaut très certainement en matière syndicale.

- Liberté syndicale et mesures disciplinaires

La jurisprudence française n'admet évidemment pas que l'exercice régulier de la liberté syndicale puisse entraîner une quelconque mesure disciplinaire contre le travailleur. A cet égard, l'arrêt Guille, 1er octobre 1954 déjà ancien, demeure toujours une référence : "Nul ne peut être lésé dans son travail…" du fait de ses origines, opinions et croyances.

C'est ainsi que l'exprimait le commissaire du gouvernement Heumann dans un autre arrêt très connu : « Le syndicalisme dont l'arme principale est la grève signifie combat.», Conseil d'Etat, 18 mai 1956, Boddaert,

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Rec L13, RFDA 1956-165, concl. Heumann.

Et le Conseil d'Etat de décider dans l'affaire que n'avait commis aucune faute disciplinaire le secrétaire général d'un syndicat de fonctionnaires qui avait protesté en cette qualité, dans une lettre véhémente adressée à son ministre, contre une mesure disciplinaire prise à l'encontre d'un agent, dès lors qu'il accomplissait la défense des intérêts professionnels des membres du syndicat.

De même, le Conseil d'Etat français a annulé la révocation du secrétaire général du syndicat des personnels de police qui avait transmis à la presse, pour publication, des communiqués protestant contre l'éventualité d'une sanction en son encontre, puis contre une mise à pied de cinq jours qui lui avait été infligée, Conseil d'Etat, 25 mai 1966, Rouve, Rec-361, D…1967, 6-Concl. Rigard.

Egalement, le blâme dont a été l'objet un chef sapeur-pompier, secrétaire de section syndicale, ayant fait des déclarations politiques à un journaliste, Conseil d'Etat, 25 Novembre 1987, District de Veunisin, Rec.798.

Ont pu être annulées aussi des décisions abaissant des notes attribuées à des magistrats, décisions fondées sur leurs activités syndicales, notamment à cause de déclarations faites à la presse, Conseil d'Etat, Assemblée, 31 juin 1975, Volf et Exertier, Rec-70 et 74, RDP-1975-84-Note Robert.

Ainsi donc, le juge cherche à faire échapper le dirigeant syndical, dans une large mesure, aux obligations auxquelles il est tenu en qualité de fonctionnaire ou de travailleur ordinaire.

Toutefois, il reste prudent et scrute toujours les véritables objectifs poursuivis par le syndicat. A cet égard, l'arrêt récent et retentissant de la cour de cassation du 10 avril 1998 est clair.

La cour de cassation a jugé illégaux deux syndicats liés au Front National, parti politique d'"extrême droite française" - Voir journal Le Monde/dimanche 12-lundi 13 avril 1998.

Les deux syndicats en question s'appelaient FN police et FN pénitentiaire. Saisie, la Haute Cour a estimé qu'une organisation syndicale « ne peut agir contrairement aux principes de non-discrimination contenus dans la constitution, les textes à valeur constitutionnelle et les engagements internationaux ».

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Cette décision prise en chambre mixte sous la présidence du premier président Pierre Truche a jugé qu'«un syndicat professionnel ne pouvait être fondé sur une cause ou en vue d'un objet illicite ». « Il en résulte qu'il ne peut poursuivre des objectifs essentiellement politiques, ni agir contrairement aux dispositions de l'article L-122-45 du code du travail (sur le principe de non-discrimination en matière de recrutement, de sanction ou de licenciement…».

Sur le fondement du principe de la «spécialité» des syndicats professionnels édicté par le code du travail, la Cour précise que l'objet syndical doit être « exclusivement l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts. Or, en adoptant la dénomination Front national de la police, le syndicat se confond avec le parti qui est à l'origine de sa création et dont il n'est que l'instrument». Un tel syndicat va servir des intérêts et des objectifs « en prônant des distinctions fondées sur la race, la couleur, l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique ». Par ces motifs, le pourvoi du FN police a été rejeté.

Le même jour, la Cour de Cassation a rendu un arrêt qui concernait le FN pénitentiaire. S'agissant de ce syndicat, la Cour d'Appel de Montpellier avait, par décision en date du 9 juillet 1997, considéré, à l'opposé de la Cour d'Appel de Paris sur l'affaire FN police, que l'objet du FN pénitentiaire était conforme à la législation.

Pour les juges de Montpellier, le regroupement en syndicat professionnel « constituait l'exercice d'une liberté publique », ce qui interdisait au juge civil de « contrôler ab initio le bien fondé de la mise en œuvre d'une liberté publique ».

Eu égard à ces principes, la Cour d'Appel de Montpellier déclara irrecevable la demande d'interdiction du FN pénitentiaire présentée par les syndicats CGT et CFDT et par le directeur de l'administration pénitentiaire, reconnaissant ainsi la légalité du FN pénitentiaire créé en septembre 1996.

La Haute Juridiction a rejeté ces arguments en décidant que « l'intérêt à agir des syndicats et de l'employeur n'était pas contesté ».

La Cour de Cassation a cassé la décision de la Cour d'Appel de Montpellier et renvoyé l'affaire devant le juge d'appel de Toulouse.

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Si la liberté syndicale doit rester la règle, la jurisprudence a par ailleurs apporté un certain nombre de tempéraments au principe.

b) Des atteintes admises par la jurisprudence

Il existe plusieurs situations où la liberté syndicale du travailleur est remise en cause. Nous insisterons sur deux cas: le premier vise les titulaires d'emplois supérieurs et le second, indistinctement, tous les agents investis de fonctions syndicales ayant commis certains manquements professionnels.

  • La situation des titulaires d'emplois supérieurs

Le Conseil d'Etat français a toujours jugé que les emplois supérieurs exigent un véritable loyalisme. Mais lorsque l'administration veut procéder à une sanction pour faute, elle doit mettre le titulaire de l'emploi en état de présenter sa défense.

A cet égard, la décision Teissier, Conseil d'Etat, Ass. 13 mars 1953, reste une jurisprudence de référence. Monsieur Teissier, directeur du C.N.R.S. français, était en même temps président d'honneur de l'Union Française Universitaire.

Cette organisation fit circuler, à la fin de 1949, une résolution qui s'élevait contre des mesures d'expulsion de professeurs polonais enseignant en France. Le Ministre de l'Education Nationale demanda aux hauts fonctionnaires figurant sur le papier à en-tête qui portait la résolution s'ils étaient solidaires de cette manifestation.

M. Teissier répondit que, s'il n'avait pas personnellement pris part à l'élaboration du document, son opinion sur celui-ci ne relevait que de sa conscience. Le Ministre insatisfait de cette réponse mit fin aux fonctions de M. Teissier qui alla se pourvoir contre cette décision. Il fut déchu de son pouvoir, motif pris de ce que la réponse de M.Teissier n'étant pas satisfaisante, le gouvernement avait légalement retenu une sanction disciplinaire contre lui.

Pour le commissaire du gouvernement Jean Donnedieu de Vabres, le poste de directeur du C.N.R.S. est l'un de ces emplois qui sont à la discrétion du Gouvernement et dont la liste non limitative est donnée par décret du 20 juillet 1949 ( préfets, directeurs centraux, recteurs…) et les titulaires soumis à un loyalisme certain.

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  • S'agissant des titulaires des autres emplois

Ils peuvent, dans la manifestation de leurs opinions, et les activités syndicales qu'ils mènent, commettre des fautes les exposant à des sanctions disciplinaires.

Ces fautes sont appréciées à la mesure des responsabilités assumées, de leur rang dans la hiérarchie et de la nature des fonctions exercées.

Par exemple, a commis une faute disciplinaire le secrétaire général de la fédération des travailleurs des P.T.T. qui a signé un accord avec un syndicat étranger, accord dont les termes et le caractère sont de nature politique, C.E, Sec 8 juin 1962, Ministre des Postes et Télécommunications c/Frischman. Rec.382; 1962-492, note Dubois.

Le fait pour un magistrat de participer à la diffusion d'une protestation critiquant une décision du tribunal relative à la nomination d'un juge, c'est manquer au devoir de réserve, même en agissant en sa qualité de membre d'une section syndicale, C.E, sec, 1er Dec 1972, Delle-Obrégo, Rec.751; D.1973-190, note Robert.

On pourrait dire que l'appréciation est faite ici au cas par cas.

Il faudrait peut-être conclure dans ce cadre, en souhaitant l'apparition pour l'avenir d'une politique jurisprudentielle dans la matière du droit syndical. Car seule l'action du juge est dans ce domaine fortement déterminante pour allier une pleine jouissance du droit syndical à la préservation des intérêts de l'entreprise qui ne sauraient être remis au second plan.


© Friedrich Ebert Stiftung | technical support | net edition fes-library | November 1999

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