Rezensionen aus dem Archiv für Sozialgeschichte online
Jean-Claude Waquet/Odile Goerg/Rebecca Rogers (Hrsg.), Les espaces de lhistorien, Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg 2000, 264 S., kart., 14,24 EUR.
Plusieurs historiens de lUniversité Marc Bloch de Strasbourg ont constitué depuis 1997 un groupe de recherche sur « lespace dans la pratique des historiens ». Le résultat est un ouvrage dont les contributions tournent autour de trois thèmes, comme le précise Jean-Claude Waquet dans son introduction: «Les termes dans lesquels les historiens décrivent, nomment et éventuellement pensent lespace; le statut que plus ou moins explicitement ils attribuent à celui-ci dans la position des problèmes comme dans le développement de largumentation; et enfin le mode sur lequel ils larticulent au temps ». Louvrage comprend deux parties: « Des territoires aux espaces du monde » et « De lespace domestique à lespace urbain ».
La première partie est plus proprement historiographique et sattache à décrire lévolution des trois thèmes dans la production des historiens, depuis les années 1930 jusquà nos jours. Jean-Claude Waquet consacre un article à lanalyse de lespace dans la revue Past et Present, de 1952 à 1957. Lauteur montre quà une époque où « lhistoire locale et nationale (...) continuait de prospérer en maints pays et en maintes publications, la revue défendit une histoire sociale tournée vers la syntèse, le comparatisme et les grands espaces » (p. 29), en particulier vers lEurope. Avec larticle dIsabelle Laboulais-Lesage, cest la conception de lespace chez les historiens des « Annales », ESC puis HSS qui étaient surtout des spécialistes des XVIIIe et XIXe siècles, qui est analysée de 1986 à 1998. Lauteur dégage trois centres dintérêt chez ces derniers, dont elle démontre la filiation avec les conceptions braudéliennes de lespace: la mise à jour des réseaux spatiaux, létude des représentations de lespace, et la réflexion sur la mise au point de formes et de catégories spatiales propres à lhistorien. Il nest évidemment pas indifférent que cet article soit suivi dune étude de Danielle Nottara-Minne sur « les territoires de lagrégation », depuis 1933, les questions posées au prestigieux concours étant censées refléter les avancées de la recherche universitaire. Or le constat est plutôt mitigé, et convie même à lironie, car « Vu depuis lagrégation, le monde nest pas à proprement parler la planète toute entière » mais plutôt la France et la civilisation européenne, de la Méditerranée antique à lexpansion coloniale. Cette situation proviendrait-elle en partie dune distension grandissante avec la géographie, à laquelle lagrégation dhistoire reste pourtant ouverte? la question est ouvertement posée.
Deux articles sont ensuite consacrés à lAfrique, lun dOdile Goerg consacré à la vision française de lAfrique du milieu du XIXe siècle à nos jours, lautre dIbrahima Thioub, sur « Lespace dans les travaux des historiens de 'lÉcole de Dakar': entre héritage colonial et construction nationale ». Odile Goerg montre le décalage entre lAfrique des historiens, dont le discours a adopté le « prisme colonial comme angle de vue majeur à partir du début du XXe siècle » (p. 80), et lAfrique des géographes qui a évidemment été plus sensible aux « contours régionaux ». À linverse, Ibrahima Thioub montre lenthousiasme des historiens africains des années 1950-1960, principalement au Sénégal, pour rattacher lespace de lhistoire africaine à un espace saharien et méditerranéen antérieur à la colonisation européenne, alors quen même temps ces historiens doivent contribuer à assurer une « sénégalisation » évidemment héritée de lordre colonial.
Les contributions sont ensuite recentrées sur lEurope avec létude de Jean-Michel Mehl sur « LEurope des médiévistes », à partir des manuels de lenseignement supérieur français, de 1926 à 1998. Or cette Europe médiévistique est à la fois floue et contradictoire, car si « cet espace reste dabord géographique » (p. 120), les historiens ignorent en général la péninsule scandinave; lEurope des manuels est donc une construction des historiens, mais celle-ci se fonde pourtant souvent, implicitement ou non, sur lEurope carolingienne. Cest une réflexion érudite que Catherine Maurer consacre à la définition de lespace sacré dans les historiographies française et allemande depuis la fin des années 80, en partant dune réflexion dAlphonse Dupront: lespace permettrait-il « une approche anthropologique, parmi les plus sûres, pour pénétrer le mystère par quoi lénergétique sacrale enclose dans lâme collective se concentre sur un objet »? La réponse est plutôt mitigée, car lauteur met bien plus en avant les différences qui séparent les deux écoles: prépondérance « détudes ancrées dans un espace territorial » dans le cas français, difficile émergence de lhistoire religieuse dans le cas allemand, « qui na saisi que tout récemment limportance des analyses à bas territoriale » (p. 139).
La deuxième partie, « De lespace domestique à lespace urbain », reste historiographique et ne quitte pas le domaine des représentations, mais sattache à des segments despace précis et à la typologie des comportements spatiaux. Laurent Baridon sinterroge sur labsence dune conception de lespace dans la tradition théorique « qui a longtemps fécondé la pensée sur larchitecture » (p. 147). De fait, « si lévidence spatiale de larchitecture émerge progressivement au XIXe siècle, ce nest quau milieu du XXe siècle que lexpression « arts de lespace » se généralise pour désigner la sculpture et larchitecture ». Cependant, aujourdhui, « larchitecture après avoir été pendant un demi siècle un art de lespace, tend à redevenir ce par quoi Vasari lavait définie à la Renaissance, un des arts du dessin » (p. 157). Anne Debarre essaye de dégager « les dimensions des espaces domestiques » dans les travaux français dhistoire et dhistoire de larchitecture depuis un siècle, depuis les formes bâties jusquaux structures de la vie privée, en passant par les cadres matériels et les modèles éducateurs. Ce questionnement multiple lui permet dévoquer aussi bien les concepts des architectes et les travaux des historiens de lart qui ont étudié les productions de ces derniers que les travaux des historiens: ceux qui reconstituent les espaces domestiques à partir de textes, comme ceux (ce ne sont pas toujours les mêmes) qui sattachent à dégager les représentations de ces mêmes espaces. Rebecca Rogers analyse ensuite les liens entre les « sphères » publiques et privées, recoupant lopposition masculin/féminin, et lespace, dans la production anglo-saxonne et française récente portant sur la période 1750-1900. Il en ressort que si la notion de sphères séparées a été davantage développée chez les chercheurs anglo-saxons, aujourdhui, « la vision dichotomique dhommes régnant sur lespace public et de femmes cantonnées à lespace privé a quasiment cessé dêtre reçue » (p. 196) dans les trois pays. Les recherches y convergent vers létude des pratiques sexuées dans lespace de la cité. Françoise Steudler part des travaux de Foucault sur lhôpital pour se demander si le cadre matériel du lieu a pu influencer les historiens qui se sont intéressé à ce sujet après le philosophe. La réponse est doublement paradoxale, car si lespace est présent en permanence dans les travaux de ces historiens sans quil y tienne vraiment une place explicite, cest dune ségrégation spatiale des patients les plus dangereux, malades mentaux et vénériens, que vont naître les spécialités médicales. Les nouvelles pistes de recherche sont sans doute à explorer de ce côté.
Catherine Sélimanovski sattache pour terminer à « La lecture des inégalités sociales dans lespace de la ville contemporaine », espace devenu particulièrement complexe pour lhistorien, depuis quil a intégré certains points de vue de la géographie, de la sociologie et de lethnologie. Larticle permet de revenir à certaines des analyses générales proposées dans la première partie, puisque lune des démarches essentielles se fonde sur larticulation de lespace et du temps: « Dans la ville coexistent des fragments ségrégués produits à des moments différents de lhistoire par des codes sociaux différents. Ils fonctionnent dans le temps présent » (p. 246).
Il sagit dun ouvrage stimulant et novateur: les géographes, principaux spécialistes concernés par cette réflexion historiographique sur lespace, y trouveront un ensemble de points de vue qui leur permettra dévaluer de façon concrète et synthétique lépistémologie des historiens et de la comparer à la leur. Cela peut représenter un pas important vers la refondation des liens entre les deux disciplines.
Jean-René Trochet, Paris